Le méridien de Paris - Une randonnée à travers l'histoire
amant outre-mer.
caves de Saint-Germain. Ceux qu’on
Ce sont des histoires élevées au rang de
appelait les rats de cave y dansaient comme
légendes. Racontées encore et encore,
des sauvages au son de la musique jazz,
couchées sur le papier, conservées,
traditionnelle d’abord, jusqu’à ce que les
oubliées puis rappelées au souvenir
premiers disques de Charlie Parker et
lorsqu’une belle occasion se présente. Il y a Miles Davis atteignent la capitale
quelques années par exemple, à la sortie de
française. Cette danse sauvage, appelée
la collection Jazz in Paris , avec une centaine jusqu’alors swing, suivant le standard de CD. L’héritage de l’heure de gloire de
musical d’avant-guerre, fut promptement
labels tels que Philips/Fontana, Musidisc, rebaptisée bebop (« bibope », écrivait Vian Barclay, Decca France. Des enregistrements en français phonétique). L’isolement de
qui ne prennent toute leur dimension qu’à
l’Occupation était révolu, Saint-Germain-
travers les textes d’accompagnement qui
des-Prés chantait la Révolution.
vous racontent le Paris d’alors, les années
cinquante, les films noirs, la Nouvelle Vague, les derniers jours de l’incontestée capitale
Une atmosphère de fête
culturelle du monde.
On attribuait toutes sortes de débordements
C’est peut-être mon imagination, mais en
à cette jeune génération – la chanteuse
écoutant, mon oreille croit déceler comme
débutante Juliette Gréco n’avait que vingt-
un mélancolique son parisien. Sans doute
deux ans et son nez ne ferait pas connais-
parce que je fréquentai jadis certaines de
sance avec le bistouri du chirurgien avant
ces boîtes de jazz, comme aux Trois Mailletz longtemps. Les parties de danse nocturnes
avec Memphis Slim qui avait davantage l’air
aux rythmes diaboliques de la nouvelle
d’un digne hobereau que d’un chanteur de
musique devaient sûrement conduire à des
blues populaire.
excès sexuels, supposait-on. Sous les
Ou encore parce que je me rappelle les
voûtes des caves, on s’amusait à confirmer
soirées au Caméléon, rue Saint-André-des-les préjugés en élisant une Miss Vice ou une
Arts, où le violoniste Jean-Luc Ponty se pro-
Miss Poubelle. Quelle rigolade ! Dans ces
duisait souvent. Nous avions vingt ans et le
trous à rats sans air, la nouvelle génération monde était à nos pieds. Et puis bien sûr, le essayait de respirer après l’Occupation
son de velours de Barney Wilen. Un garçon
étouffante et l’esprit petit-bourgeois qui y
frêle, disparu après ses premiers succès
succéda.
dans un puits noir d’alcool et de drogue.
Sartre n’était pas amateur de jazz. Pour lui, Le jazz à Paris, outre Saint-Germain-desc’était de la musique jetable. Une tendance
Prés, c’est aussi et avant tout Boris Vian, qui à la durée de vie limitée. La musique jazz,
était non seulement musicien et chroniqueur
c’est comme les bananes : on les consomme
pour la revue Jazz Hot, mais également 61
L e M é r i d i e n d e P a r i s
directeur artistique chez Philips , puis chez d’ouvrir également le soir, de vingt et une
Barclay. Il produisait des dizaines de disques.
heures à minuit. Sartre s’y montrait, ainsi
Il était le roi du jazz de Paris !
que Raymond Queneau. Mais les parents de
la jeunesse ainsi tentée craignaient le pire et firent constater que la sortie de secours était Les lieux à la mode
trop étroite de cinq centimètres par rapport à se succèdent
ce qu’exigeaient les directives. Le Caveau Tout a commencé un peu plus loin, dans la
des Lorientais dut fermer. Mais on donna rue des Carmes du Quartier-Latin, ce qui,
toujours aux musiciens d’alors le nom de
pour un habitant de la rive gauche, est tout
Lorientais. Il n’en faut pas plus aux amateurs à fait autre chose que Saint-Germain-des-pour comprendre.
Prés. M. et Mme Pérodo, un couple breton,
Ce fut alors au tour de Saint-Germain-des-
y ouvrirent Le Caveau des Lorientais , Prés. La jeune littérature chez Flore, les vieux nommé d’après la ville portuaire presque
littérateurs aux Deux Magots , comme disait entièrement détruite. Le clarinettiste Claude Sartre. Le jazz devint souterrain. Au coin de la Luter y jouait de cinq à sept heures, avec
rue. Du n°29 de la rue Dauphine, où des
son orchestre de jazz traditionnel. En un rien auteurs et journalistes comme Albert Camus
de temps, l’établissement devint le
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