Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
le monde à peu près

le monde à peu près

Titel: le monde à peu près Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean Rouaud
Vom Netzwerk:
votre esprit, s’imprime le visage compatissant,
rassurant, totalement apaisé, de l’envolé. Et cette impression est si nette, de
cette tranquillité radieuse qui vous accueille de l’autre côté des apparences,
que vous l’enviez au point, tête relevée, d’en chercher la trace parmi les
nuées. Mais en un clin d’œil le monde visible reprend ses droits :
là-haut, aucun visage, nulle empreinte de sourire, pas même une échappée bleue
dont le pays est avare et qui, sinon consolerait, du moins permettrait d’éviter
cette sensation d’écrasement. Juste des nuages, des masses de nuages, sombres,
bas, qui roulent à gros bouillons ou s’étirent comme du coton sale d’ouest en
est, lourds des humeurs océanes, progressant par vagues sur plusieurs niveaux,
à des vitesses différentes, si bien qu’ils semblent s’engager dans une course
folle au-dessus des terres, comme s’ils n’avaient pas envie de s’y attarder,
les strates supérieures et inférieures se désolidarisant parfois dans le choix
de la direction, les unes optant pour l’orthodromie, les autres pour une route
plus au nord, inlassable activité de fuyards, les hordes sauvages de
l’Atlantique partant à la conquête du monde, et la débandade est telle que des
filets de brume se détachent des couches les plus basses, comme les éléments
faibles, rejetés sur les flancs, d’un troupeau en mouvement, lambeaux de
firmament mort qui pendent telles les voiles d’un vaisseau fantôme, flottent au
vent, s’accrochent à la cime des arbres, s’effondrent dans le lointain.
    Comprenant qu’il n’y a rien à attendre de ce ciel, hormis du
vent, des nuages et de la pluie, tristement vous baissez la tête et fermez les
yeux. Mais, à peine le temps de remâcher votre déception, à nouveau s’imprime
au dos de vos paupières sur fond d’azur le visage radieux. Ce qui, cet
aller-retour terre-ciel, concluait mon récit d’un dimanche à la campagne.

 
    Or vous savez quoi ? ce devoir ? ce qu’il me
valut ? D’abord se remettre en mémoire la cruelle cérémonie de la
distribution des copies : le maître debout au milieu de la classe donnant
à chacun, ou la lui faisant passer, sa composition corrigée, assortie d’un
commentaire évidemment moqueur (puisque seul le silence équivalait à des
louanges) et destiné à recueillir un ricanement général, sorte de chevrotement
courtisan auquel s’efforçait de s’associer l’heureux récipiendaire, démontrant
ainsi, quelle que fût sa déception, qu’il savait se montrer beau joueur et rire
aussi de lui-même.
    Pour ménager ses effets, selon qu’il lui prenait la
fantaisie de faire languir le bon élève et de semer un doute dans son esprit,
ou au contraire de s’offrir du bon temps avec le cancre de service en guise de
bouquet final, il commençait par la plus mauvaise ou la meilleure note.
L’habitué des bas de classement, celui qui accueillait d’un sourire goguenard
les remarques les plus pessimistes quant à son avenir sous prétexte qu’un
résultat aussi lamentable n’ouvrait pas des perspectives encourageantes, Gyf,
n’était plus là. Il nous avait quittés à la fin de la première année, renvoyé
sans doute, ses frasques ayant fini par avoir raison des circonstances
atténuantes que lui valait sa situation familiale. On avait noté tristement son
absence à la rentrée suivante, ce qui laissait présager une année sans joie. Ce
qu’elle fut puisque c’est au retour des vacances de Noël, quelques mois plus
tard, que j’étrennai dans le regard de mes semblables ma nouvelle condition
d’orphelin de père.
    Cette évocation d’un dimanche à la campagne ne disait pas
autre chose. J’en attendais avec impatience le résultat, sûr du moins par ce
récit d’une visite au cimetière de ne pas doublonner avec les inévitables
parties de pêche, fables imaginaires qui servaient en la circonstance et dont
on n’exigeait jamais la moindre preuve, par exemple pourquoi n’était-il jamais
demandé de glisser entre les feuilles de la copie la carpe de trente kilos ou
les centaines de petits gardons de cette pêche miraculeuse ? Moi, je
n’avais rien à craindre, on pouvait bien envoyer un enquêteur sur le terrain,
tout y était, exactement comme je le décrivais, à l’exception peut-être des
pointes de lance dorées de la grille du cimetière – parfois la
mémoire superpose les souvenirs, emprunte ici ou là, à une grille de
préfecture, par

Weitere Kostenlose Bücher