le monde à peu près
parfois en
médaillon sous un verre bombé comme une image périscopique projetée du fond de
la tombe, boules de verre enfermant une vierge de Lourdes ou une composition
style bouquet de la mariée, et bien sûr toute la gamme des fleurs en céramique
au calice lie-de-vin délicatement orné d’étamines et de pistils tracés d’un
coup de pinceau rapide, même si dans ce domaine de l’illusion celles-ci se
trouvent maintenant concurrencées par l’apparition des fleurs en plastique dont
nous aimons, à la pointe de la modernité, faire l’éloge.
Elles ne sont pour l’heure qu’imparfaitement ressemblantes,
mais l’argument de la persistance, que pour le prix d’un bouquet la tombe sera
fleurie à l’année, fait qu’on se montre moins regardant, qu’on jure que c’est à
s’y tromper, qu’il ne manque que le parfum. Autre inconvénient, outre le fait
qu’avec le temps et soumis aux intempéries la couleur passe et le plastique se
révèle cassant, les variétés sont encore peu nombreuses et d’une sélection très
classique : roses, œillets, tulipes, pensées. C’est à peu près tout, mais
cela suffit pour jouer à la fleuriste, tenir les fleurs dans une main, les
permuter, les échanger, tordre les tiges métalliques – ce qui
représente un avantage sur les fleurs naturelles – que l’on égalisera
en sectionnant les pieds à la pince coupante, tendre le bras pour prendre un
peu de recul et mieux juger de l’effet obtenu, tout en interrogeant de temps à
autre du regard l’endeuillé aux yeux parfois pleins de larmes. Car à peine
a-t-il franchi la porte du magasin que, sur sa seule tête d’enterrement, avant
même qu’il ait exprimé le moindre désir, nous l’invitons à descendre l’escalier
qui mène au sous-sol où se tient le petit rayon d’articles funéraires. Nous
mettons d’autant plus d’ardeur à combler son attente, nous faisons preuve de
d’autant plus de patience devant celui-là qui se triture une heure le menton
avant d’arrêter sa décision, que son chagrin nous semble sincère et véritable.
Au prix parfois de quelques renoncements et contorsions esthétiques. Si
l’éploré nous demande notre avis après qu’il a suggéré d’adjoindre aux roses
rouges une tulipe violette et un œillet blanc, plutôt que d’ajouter à sa peine
en lui conseillant, par exemple, des fanes de carottes, et considérant qu’un
choc émotionnel occasionné par la perte d’un être cher peut amener à un brouillage
du goût, nous acquiesçons – sans manifester un enthousiasme servile
qui serait sans doute perçu comme suspect (la campagne est incertaine quant aux
prétendues belles choses, et donc susceptible sur ce chapitre) mais de l’air
que l’on prend pour signifier que nous n’aurions pas osé, mais pourquoi pas.
Ce qui fait que le dimanche suivant, au cimetière, nous nous
empressons de repérer le fameux bouquet, prétexte à quelques commentaires sur
l’innocente victime qui repose en dessous et qui, quelle qu’ait été sa vie, n’a
certainement pas mérité ça.
Ce qui fait aussi qu’en comparaison, comme si nous tenions à
rehausser notre chagrin, nous nous montrons assez fiers du tombeau familial,
sobre, dépouillé, épaisse dalle de granit gris moucheté à deux pentes faiblement
inclinées (mais suffisamment pour interdire d’y placer un vase ou autre
bimbeloterie au risque qu’ils versent ou prennent un air penché). La pierre
repose sur un socle plus large d’une main, ménageant sur le devant, creusée
dans la pierre, une jardinière trapézoïdale dans laquelle sont plantés en rangs
serrés des pieds de bégonia, choisis moins pour leur agrément, même si à la
floraison ils apportent une touche rouge orangée, que pour leur résistance au
climat océanique. Mais ce surgissement hors du granit, c’est comme si les
petites fleurs, en perforant une des pierres les plus dures qui soient, étaient
parvenues à se frayer un chemin vers la lumière, comme si, à leur exemple, il
était possible de s’échapper de la fosse maudite.
La grande croix couchée sur le dessus, taillée dans la
masse, en relief, vernissée, est aussi une singularité dans ce parc de croix
dressées en sentinelles à l’arrière des sépultures. Car partout dominent les
modèles en fer ouvragé, passés au minium, comme on en voit aux carrefours, et
en béton armé aux branches cylindriques ou quadrangulaires. Ni étoiles ni
croissants de lune dans cette
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