le monde à peu près
souhaite bien du
plaisir (un peu cependant grâce à mon Jean-Arthur, à charge donc pour vous de
l’achever – mais à dire vrai j’aimerais mieux m’en occuper moi-même,
ayant quelques idées très précises sur le style, le lyrisme, et me fiant
personnellement à mon oreille, qui dans cette hypothèse serait la vôtre bien
entendu, mais imaginons au cours du transfert une altération du tympan, par
exemple, que devient alors mon beau texte ? Le risque est trop grand qu’il
s’en trouve dénaturé, aussi, quitte à m’insupporter davantage encore, je
préfère dans le doute me garder, persister et signer mon histoire).
Il y avait une question cependant qui me brûlait les lèvres
plus encore que la honte les joues : si Théo avait choisi de rendre visite
au condamné dans sa cellule, était-ce pour allumer le bûcher et voir rôtir
l’auteur du crime à petit feu, ou – et bien sûr une telle pensée
s’accompagnait des plus extrêmes réserves – venait-elle s’assurer du
pouvoir de ses charmes sur le même en phase de désintoxication ? Auquel
cas elle n’avait pas à se faire du souci, j’étais aussi ému que si elle
m’apparaissait pour la première fois. Je comprenais fort bien que je me fusse
épris d’elle au premier regard, au point, le vin ayant des effets libérateurs,
de me laisser un peu aller à mes sentiments. Je regrettais simplement de n’avoir
pas gardé en mémoire la saveur de ses lèvres, pour peu qu’elle se fût par moi
laissé embrasser. Ce qui était douteux, quand je crus comprendre que nous
avions échoué chez son petit ami, lequel n’avait pas apprécié qu’en outre je
reverse deux ou trois verres de vin, après ingestion, sur son couvre-lit.
Mais elle était là, et sans son maniaque de la propreté. A
l’en croire, elle venait aux nouvelles, ayant craint que je ne me réveille pas,
que mon coma éthylique se prolonge au-delà d’une nuit récupératrice de sommeil.
Elle était heureuse de me voir en à peu près bon état et attendait que je
l’améliore encore afin que je lui parle de mes écrits dont j’avais la veille au
soir vanté l’excellence et le caractère novateur.
Cette nouvelle information fut saluée par une nouvelle salve
de mines anti-personnel, aussi profitai-je du tumulte engendré par la
déflagration pour, sans forcer la voix, de sorte que je ne risquais pas de
m’entendre, bredouiller deux ou trois mots penauds sur mon attitude scandaleuse
de la veille. Quant à mes travaux d’écriture, il ne fallait évidemment pas
croire tout ce que j’avais pu en dire et dont je n’avais gardé aucun souvenir,
même s’il m’arrivait effectivement d’émettre en alternance un jugement tantôt
enthousiaste, tantôt déprimé, sur la réalité de mes supposés talents. Le
baromètre de mes états d’âme s’étant, si j’en croyais ses dires, arrêté hier
soir sur Beau fixe, elle pouvait logiquement constater que ce
matin – ah bon, il était midi passé ? – le temps
s’était terriblement détérioré, qu’à l’anticyclone avait succédé une pénible
dépression, et donc, si elle voulait bien m’accorder cette faveur, on en
reparlerait une autre fois – ce qui me permettait ainsi, par cette
stratégie de la carotte, d’espérer peut-être bientôt la revoir.
Gyf, lui, avait une autre idée. Nous avions un ministre des
Armées, ou de la Guerre, ou de la Revanche, qui avait jugé opportun de
mobiliser toute la jeunesse, et donc estudiantine, dans la perspective d’un
conflit planétaire dont le caractère imminent nous avait jusque-là échappé.
D’où, par ignorance certainement, une forme de réticence vis-à-vis de la mesure
annoncée.
Jusqu’à présent il était admis qu’un jeune homme pouvait
demander un délai de grâce avant son incorporation, le temps d’achever sa
formation, en somme, et cela, ce répit accordé, s’appelait un sursis. Mais,
craignant peut-être que l’allongement considérable des études ne conduise à
terme à une armée de presque vieillards, tout juste enclins à faire don de leur
corps (or on sait que les organes qui ont fait leur temps ne sont pas
récupérables) à la patrie, on nous proposait d’accomplir notre devoir national
sans plus attendre, l’armée s’étant toujours nourrie d’un sang jeune et ardent.
L’âge venu, nous partions en urgence servir le pays, il serait toujours temps
de reprendre nos études au retour.
Imaginez : au moment où vous
Weitere Kostenlose Bücher