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Le Monstespan

Le Monstespan

Titel: Le Monstespan Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean Teulé
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1.
     
     
    Le samedi 20
janvier 1663, vers onze heures du soir, au sortir du Palais-Royal où Monsieur
 – le frère du roi  – donne un grand bal, deux jeunes hommes, suivis
par six autres, déboulent dans la rue. Ils s’engueulent dans un éblouissement
de plumes et de dentelles :
    — Fils de
prêtre ! 
    — Cul-vert !
    Un grand
maigre aux lèvres étirées par-dessus les gencives, dans sa tenue flamboyante
agrémentée de diamants, bouscule un petit ventru à perruque noire semblant
monté sur des échasses tant ses souliers sont hauts. Plein de bagues et de
bracelets, celui-ci titube sur ses talons en s’étouffant :
    — Cul-vert ?
La Frette, tu oses me traiter d’esclave affranchi, moi, le prince de
Chalais ?
    — Prince
des invertis, oui, sodomite ! Comme Monsieur, tu préfères le damoiseau à
la caillette. Et moi, j’ai une aversion pour le vice italien. Tu vas à Naples
sans passer par les ponts !
    — Oh !
    Pendant cette altercation, la
porte de la salle du baltrès éclairée, pleine de musique, de vapeurs,
de mouvements des danseurs, se referme et les voilà, les huit, dans le noir
glacé de la rue.
    Un bossu
accroupi contre une colonne, tenant au bout d’un bâton une grosse lumière
enfermée dans une vessie, se lève, va vers eux et les hèle :
    — Un
porte-lanterne pour vous raccompagner chez vous, Messieurs ?...
    Une jambe plus
courte que l’autre, il boite, chaloupe. Cheveux plats sur le crâne, noués
derrière la nuque en corde de puits, il tourne autour d’eux avec sa lanterne
qui les éclaire.
    Le petit
Chalais gifle La Frette, dont la tête secouée dégage un nuage de poudre de
fève. Humilié, le grand ferme sa gueule sur des dents qu’il maquille à la
manière hollandaise  – il colmate de beurre les trous de carie de ses
incisives et canines, et c’est pour cela qu’il étire sa bouche sur les gencives
afin de rafraîchir l’emplâtre laitier, éviter qu’il fonde. Mais là, tout à sa
colère, il resserre ses lèvres en cul de poule et gonfle ses joues sur une
rancœur brûlante. Quand il ouvre de nouveau la bouche, ses dents coulent :
« Tu as vu, Saint-Aignan ? Il m’a gi... »
    — Tu as
souffleté mon frère, cul-vert ?
    Un chevalier
cruel de dix-neuf ans, coiffé du chapeau hérissé de très longues plumes et un
œil crevé par la petite vérole, se campe devant Chalais. Le porte-lanterne propose
à tous deux son service d’éclairage mobile, le justifie :
    — La
nuit, filous, détrousseurs et mauvais garçons, guettent le passant attardé qui
se hâte de rentrer...
    Les huit
jeunes emperruqués, séparés en deux camps, blasphèment, se font des mines effrayantes,
s’arrachent les soies et rubans des habits. Le porte-lanterne lève sa vessie
lumineuse. L’un d’eux qui vient de s’entendre dire : « Flamarens,
bougresse de putain » a le visage blême. Il s’est tracé au pinceau de
fausses veines bleues, couleur de la noblesse et de la pureté du sang. Le
porte-lanterne baisse sa lumière vers les souliers sur les pavés scintillants.
L’huile fume :
    — Cinq
sols la course ! Qu’est-ce que c’est cinq sols lorsqu’on a, comme vous
tous, les talons rouges des aristocrates ?
    L’éclair d’une
lame de dague dégainée en traître jette une blessure à un visage surpris :
« Noirmoutier ! » L’estafilade, main tirant l’épée, veut crever
Noirmoutier comme un porc. Celui qu’il appelle d’Antin - « D’Antin, ne te
mêle pas de ça ! » - intervient pourtant dans la bagarre qui
dégénère : « Hé, ho, soyez raisonnables ! »
    Le
porte-lanterne abonde dans son sens :
    — Oui,
soyez raisonnables... La forêt la plus funeste et moins fréquentée du royaume
est auprès de Paris un lieu de sûreté.
    La Frette crache
le beurre rance de ses chicots pourris au visage de Chalais :
    — Grosse
tripière, rendez-vous sur le pré-aux-clercs, demain matin !
    D’Antin en
reste interdit :
    — Le
pré ? Vous êtes fous ! Les édits...
    Mais le grand
offensé La Frette, près de Saint-Aignan, ordonne :
    — Arnelieu,
Amilly, on s’en va.
    Quatre partent vers les fenêtres
éclairées des Tuileries, les quatre autres en sens inverse. Le porte-lanterne
file quant à lui en chaloupant le long de la rue Saint-Honoré. La lumière de sa
vessie projette une ombre bossue et dansante sur les murs tandis qu’il se
remémore :
    — La
Frette, Saint-Aignan, Amilly, Arnelieu... et Chalais, Flamarens,

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