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Le Monstespan

Le Monstespan

Titel: Le Monstespan Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean Teulé
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décerne.
    — Où
allez-vous ? demande-t-elle dans un sourire.
    — Par là,
euh, par là, et vous ? !
    — Tout
droit.
    En sortant
tout droit du palais de justice du Châtelet, ils sont immédiatement pris dans
l’extraordinaire animation, l’encombrement permanent, le bruit, la boue,
l’odeur désagréable de la ville. Les égouts à ciel ouvert, les tas d’excréments
et les cochons qui fourrent leur groin dans les ordures, font des gants
parfumés ou du bouquet de violettes qu’on place sous son nez les remèdes
indispensables contre la nausée. Mais le marquis l’oublie :
    — Je n’ai
plus de frère, s’étonne-t-il. L’aîné Roger est décédé au siège de Mardyck, Just
de Pardaillan est mort aux armées et le marquis d’Antin tué hier en duel...
    « Je n’ai plus de futur mari »,
répond en écho la belle. L’air qu’elle souffle est plus pur que celui qu’elle
respire. « Noirmoutier tient évidemment davantage à sa peau qu’à
moi. » Elle a le profil fier et noble. De sous la capuche de son manteau,
des cheveux blonds jaillissent en mèches rebelles. Ses narines sont mobiles
comme des ailes d’oiseau. Sa bouche rieuse, un peu larronnesse, fout le feu au
marquis pendant que le soleil se glisse entre les arbres...
    La double
perte les rapproche. Tandis qu’ils croisent des marchands de chansons  – à
boire, pour se réjouir à table, chansons à danser ou d’actualité  –, les
deux jeunes gens se parlent du défunt, du fiancé exilé, se congratulent, se
plaisent, se consolent. Des Savoyards, chanteurs des rues, clament :
« Rends-moi mon moineau, la rousse », « Ah, que le monde est
grand ».
    — C’est
d’autant plus rageant, hoche la tête la si belle, que lorsqu’on m’a annoncé la
nouvelle, rue Saint-Honoré, j’essayais ma robe de mariée pour dimanche
prochain. Je ne sais plus ce que je vais en faire.
    — Ce
serait dommage qu’elle s’abîme...
    Un
saltimbanque avale de l’eau et la rejette ensuite de plusieurs couleurs et
odeurs.
    — Moi, je
dis ça, s’embrouille le marquis, c’est surtout rapport aux mites. C’est vrai,
parfois on range des habits neufs dans les coffres et plus tard, quand on les
déplie, ils sont abîmés, mangés, troués par les larves... On regrette alors de
ne pas les avoir revêtus...
    La demoiselle
aux chaussures pointues pourvues de hauts talons contemple ce Gascon
embarrassé, amusant et ne manquant pas de séduction : « Seriez-vous
en train de me dire que vous... ? »
    — Comme
on n’aime qu’une fois dans une vie.
    Un pâtissier,
sur le pas de sa porte, soigne sa mise  – ruban en guise de cravate, béret
à gros nœud et un brin de fleurs pour attirer les dames. La fiancée abandonnée
pose familièrement sa tête sur l’épaule du marquis. Lui qui fréquente
assidûment les cercles de lansquenet et les tables de reversi des hôtels
particuliers du Marais pense avoir le plus beau jeu du monde. Abasourdi et
perdu sur une place envahie de charrettes et d’ecclésiastiques, il se gratte le
postiche :
    — N’est-ce
pas le Paradis, ici ?...
    — Ah non,
monsieur, il n’y aurait pas tant d’évêques !
    Ils éclatent
de rire. Lui, croit pour sa part qu’un ange le bénit et lève les yeux au ciel.
     
    *
     
    Les voûtes de
l’église Saint-Sulpice forment un très haut ciel de pierre où résonne un rire.
Après la lecture de l’Evangile, la blonde en robe rouge toute rebrodée de
perles, s’agenouillant devant l’autel en même temps que le marquis en habit
gris lavande, s’était esclaffée à son oreille :
    — Les
carreaux pour s’agenouiller, tu sais, les coussins de soie brodée qu’on avait
oubliés et envoyé chercher, rue des Rosiers, à l’hôtel Mortemart...
    — Eh
bien ? lui demande le jeune Gascon.
    — La
servante s’est trompée. Elle a apporté ceux des chiens.
    — Non ? !
    Ils en rient
et époussettent les poils canins comme des garnements dans leurs costumes de
soie et broderies au cœur de cette vaste église en travaux où sont assis les invités
derrière eux. Il a la physionomie heureuse, une perruque en crin de cheval
déliée et claire. Elle, toute grâce et toutes nuances dans l’éclat doux de ses
vingt-deux ans, possède la candeur des enfances.
    Près du porche
de l’église, assis sur un prie-Dieu, un duc joufflu  – yeux verts à fleur
de tête, petite bouche ourlée  – s’extasie auprès de son voisin :
    — Ma
fille est

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