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Le Monstespan

Le Monstespan

Titel: Le Monstespan Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean Teulé
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garçon !

 
5.
     
     
    Marie-Christine,
ne te penche pas autant vers ta mère ! Tu vas finir par tomber du berceau
et te casser la tête.
    Dans le salon
du premier étage, assis face à face autour d’une table de jeu, le jeune couple
Montespan démuni dîne en jouant au reversi. Entre les assiettes, Athénaïs
distribue les cartes avec dextérité tandis que Louis-Henri mise déjà des
graines de haricots en surveillant leur petite, à côté :
    — Elle te
regarde comme je te contemple.
    — C’est
vrai qu’elle a tes yeux, ton nez un peu grand et ta jolie bouche. C’est le
portrait de son père...
    — Elle
n’arrête pas de tendre les mains vers toi. Peut-être qu’elle voudrait que tu
lui donnes le sein.
    La marquise
glisse entre les lèvres de sa fille une tétine en forme de fleur de lys que
recrache aussitôt le bébé, alors Athénaïs appelle vers l’escalier :
    — Madame
Lariviere ! Prémâchez de la bouillie de céréales pour Marie-Christine car
elle a faim.
    Son mari
s’étonne :
    — Elle ne
te tète déjà plus ? Tu veux la sevrer si jeune ? Elle n’est pas trop
petite ? Elle n’a pas encore...
    — Oh, ça
dépend des enfants, dit la Montespan consultant ses cartes à jouer. Ils sont
tous différents. Par exemple le roi, lui, a croqué les dames à belles dents dès
son plus jeune âge car, chose exceptionnelle, il est né avec une bouche déjà
meublée. Il est arrivé au monde avec toutes ses dents. Les premières femmes
qu’il a fait souffrir furent donc ses nourrices, qui eurent les seins meurtris,
les tétons arrachés par son appétit de lionceau.
    — Comment
le sais-tu ? demande Louis-Henri, augmentant sa mise de trois écus
factices (trois graines de haricots secs).
    Plantée dans
un candélabre sur la table, une chandelle de suif de mouton fume. La flamme se
promenant sur le visage d’Athénaïs met des lueurs sur ses mains qui se tendent
en déposant son jeu :
    — Tu as
encore perdu. Je ramasse tes haricots-écus.
    La cuisinière,
Mme Lariviere, arrive dans le salon sombre. Elle porte une coiffe à bavolet,
tient à la main un bol dans lequel elle recrache une bouillie qu’elle a mâchée.
Entre le pouce et l’index, elle en fait des boulettes molles qu’elle glisse entre
les lèvres du nourrisson tandis que la marquise raconte :
    — Un
jour, pendant que tu étais en Lorraine, avec mon père et mon frère Vivonne,
nous sommes allés voir le chantier du nouveau palais à Versailles. Au ministère
de la Guerre déjà construit, mon gros Vivonne a acheté une charge militaire
pour la campagne contre les Barbaresques. L’embarquement à Marseille aura lieu
le 13 juillet 1664. Ce sera la première guerre maritime du roi mais il n’ira
pas. Elle sera sous le commandement de son cousin Beaufort.
    Sur la table de jeu, le repas des
Montespan amoureux est charmant en hachis et ragoûts comme on n’en trouve pas
chez Dieu. Le vin n’a pas de nom car à quoi sert la gloire, mais puisqu’il est
tiré, ne faut-il pas le boire ? Louis-Henri penche une bouteille à fond
plat recouverte d’un clissage de paille. Le bouchon, abandonné près des cartes,
est un morceau de bois entouré d’une filasse de chanvre suiffé. Le vin coule
dans le verre d’Athénaïs qui fait mine de ne pas trop en vouloir :
    — Tut,
tut, tut, mon mari ! Le vin est déconseillé aux femmes car il peut les
échauffer et les troubler jusqu’à leur faire perdre leur honneur !...
    Mme Larivière
lève les yeux au ciel en quittant le salon alors que Dorothée y entre pour
remuer le berceau à bascule où la petite Marie-Christine s’endort. En bas de
l’escalier, ça frappe soudain sèchement à la porte. La cuisinière, habituée,
s’immobilise sur le palier.
    — Ah, ces
créanciers, c’est tous les jours et maintenant même le soir..., grogne
Louis-Henri à voix basse.
    Les Montespan
entendent dans la rue Joseph Abraham  – le perruquier et propriétaire
solidaire  – affirmer (genre la main sur le cœur) que :
    — Mais
puisque je vous dis qu’ils ne sont pas là et que je ne sais quand ils
reviendront. Hein ? Mais non, ce n’est pas de la lumière que vous voyez à
la fenêtre de l’étage. Ce doit être un reflet de lune contre la vitre.
    Athénaïs
souffle la chandelle. Dans le silence et le noir, la fumée de suif de mouton
est malodorante. La bougie de belle et pure cire, rare, coûte si cher.
    — À
Versailles, on ne brûle que de la cire, murmure la

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