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Le Monstespan

Le Monstespan

Titel: Le Monstespan Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean Teulé
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à bord desquels prendront place six mille soldats.
    — Dont
beaucoup vont mourir...
    — Si la
vie des hommes durait mille ans, il faudrait en avoir du regret. Mais, étant si
courte, il importe peu qu’ils la perdent vingt ans plus tôt ou plus tard.
    Les lèvres du
marquis frôlent une toison blonde et frisée :
    — Il
s’agira en fait d’implanter et fortifier une base militaire permanente dans
cette région stratégique et de damer le pion aux redoutables qui la convoitent.
J’ai lu tout ça dans La Gazette de la semaine dernière.
    La marquise
sent le souffle chaud de son mari immobile et tellement proche. Elle ferme les
paupières :
    — On dit
que la France n’a plus de marine ou pour le moins qu’elle est dans un bien
triste état.
    — Le
départ n’aura lieu que dans deux mois, alors d’ici là les navires seront
consolidés. Il faut faire confiance en Sa Majesté.
    Le mari, d’un
mouvement de nuque, prend de l’élan pour plonger un baiser profond dans le sexe
de sa femme, mais elle lui bloque le front avec ses paumes et le prévient
qu’elle a ses règles :
    — Le
cardinal loge à la motte !

 
6.
     
     

     
    Du sang plein
le visage et des débris de cervelle au front, c’est la déroute. Sur cette plage
de cité légendaire et fief des pirates aux effluves d’épices, l’officier
Montespan est à genoux dans la poudre en dessous des étoiles, près d’une
construction dont l’angle est heurté par des tourbillons de lumière. Il pousse
ses hommes en habits de gala, se sent l’âme saoule. Une première ligne s’avance
avec sang-froid, fait feu puis se retire. Une deuxième ligne prend sa place et
ainsi de suite. Aux tirs s’ajoute le son des canons mais les ennemis sont si
nombreux. Balles et boulets tirés à l’aveuglette. Les hommes de Louis-Henri
tombent, les rangs s’éclaircissent. Bombardements et mousquetades redoublent
d’intensité. Une déflagration signale l’explosion d’un ouvrage sous un feu
intense. Comme des orgues noirs, les poitrines à jour des soldats du marquis,
que serraient autrefois les gentes demoiselles, se heurtent longuement sur le
sable dans un hideux amour. Et la foudre hurle à travers les espaces.
L’incendie est au zénith, la mort dans la nature. Des curiosités vaguement
impudiques épouvantent le rêve. L’ennemi bave aux murs, il monte, il pullule.
Tous les bruits désastreux filent leur courbe dans de splendides lueurs de
forge. C’est l’Enfer. Le feu gagne de partout, murailles attaquées, tirs
d’armes. Depuis onze heures du matin, la situation est intenable. Après trois
mois d’occupation de Gigeri, l’armée de Sa Majesté est soudainement rejetée à
la mer le soir de la Toussaint 1664.
     
    Deux jours
plus tôt, Montespan, à l’écart, avait assisté aux délibérations d’un conseil de
guerre. On s’y était demandé comment finir la muraille construite d’ouest en
est  – depuis la mer au pied de la montagne Sèche jusqu’à la pointe du
Marabout  – formant un demi-cercle en lignes brisées. Clerville, chargé
des fortifications, avait poussé quelques petites crieries après Gadagne,
commandant des troupes au sol :
    — Il est
soudain devenu impossible de s’approvisionner en bois et calcaire nécessaires à
la fabrication de la chaux ! Pourquoi ? Et puis, vous m’aviez promis
que les indigènes me fourniraient les matériaux. Où sont-ils ?
    Le commandant
des troupes au sol, en armure de fer, n’avait su que répondre, alors Beaufort
avait ordonné :
    — Si l’on
a besoin de pierres, prenez-les dans le cimetière où doit passer la muraille.
    Montespan,
adossé contre un mur, avait osé émettre un doute à voix haute :
    — Vous
êtes sûr ? Les Kabyles ont déjà fort insisté pour que nous cessions les
travaux avant la pointe rocheuse au bout de la plage. Pour eux, ce lieu est
sacré. Il abrite le mausolée d’un marabout et des tombeaux de dignitaires de
l’Islam. Si l’on profane les tombes musulmanes, Sidi Mohamed, qui jusque-là
voulait bien nous laisser lutter contre les pirates, proclamera la guerre
sainte...
    — Mais
d’où sort-il ce capitaine ? De quoi se mêle-t-il ? ! s’était
énervé le cousin du roi qui dirige l’expédition. Des gens comme vous, monsieur,
n’ont rien à faire dans notre quartier général. Les véritables guerriers de Sa
Majesté méprisent les officiers d’occasion comme vous qu’ils désignent sous le
quolibet de « marquis

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