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Le Monstespan

Le Monstespan

Titel: Le Monstespan Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean Teulé
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approche :
    — C’est
ton père qui va t’emmener chez lui en Guyenne...
    Par
discrétion, il tend une paume devant la flamme qu’il approche du petit. La main
transparente à la lumière baigne le visage du nourrisson.
    — Vertubleu !
    L’enfant est
monstrueux. Corps minuscule, sa tête est gigantesque. C’est une énorme bouse de
crâne palpitante comme du mou de veau, quelque chose d’absolument anormal et
insupportable même à regarder. Au milieu de cet immense amas flasque paraissant
plein de liquide brûlant, les traits du petit sont ceux d’une trisaïeule
expirant sur son lit de mort. Sa vilaine bouche douloureuse est ouverte et
suffoque. Le bâtard hydrocéphale est issu (par son géniteur !) d’une trop
longue lignée consanguine. Les gênes s’y perdent. Il a un défaut de race.
Montespan renonce à l’enlever :
    — Je ne
voudrais pas qu’on croie qu’il est de moi.
    De toute façon
l’enfant intransportable n’est pas viable. Il ne pourra jamais soulever sa
tête. Il n’aurait pas dû être là, il est une erreur de l’ordre des choses.
C’est ce que diagnostique le mari devant ce nourrisson qui fait pitié et que
personne n’a pris la peine de nommer. Le Gascon traîne un doigt dans la suie de
la cheminée puis vient lui offrir un patronyme. Sur le front monstrueux du
fruit des amours du Jupiter de théâtre et de l’Alcmène-Françoise, lui  –
l’Amphitryon de la farce  – écrit :
     

 
29.
     
     
    — Votre
perruque blonde est ridicule, père.
    Montespan,
assis sur la banquette de son carrosse, tourne la tête vers Louis-Antoine qui
le dévisage.
    — Ce sont
les apprentis de M. Abraham qui l’ont transformée en coiffure de ta maman. Ils
l’ont recoupée, étirée au crâne, ont roulé des anglaises sur les côtés... Je ne
sais pas pourquoi ils ont fait ça. Le perruquier a beaucoup crié après eux mais
tant pis, il fallait qu’on parte.
    Coiffé à la
hurluberlu, Louis-Henri regarde, par la lunette avant, le cul des juments
d’attelage puis, par le fenestron, le défilement des paysages, broussailles,
les ronces qui griffent la portière aux armes cornues.
    Voilé de crêpe
noir, le carrosse de deuil aux ramures de cerf a donc repris du service et la
France étonnée voit passer sur l’interminable route le disgracié en chemin pour
ses Pyrénées natales.
    Puisque tout
le monde à Versailles, Paris, connaît l’infortune du marquis, celui-ci tient à
son tour à ce que le peuple de province, les bourgeois des villes traversées,
les paysans aux champs, le dernier mendiant, apprennent également son cocufiage
 – cet abus du roi. Il veut que la rumeur rameute les curieux, que la
nouvelle se répande. Il surprend la stupéfaction dans les yeux, l’étonnement
qui ouvre la bouche sur des mâchoires édentées. Des gentilshommes moqueurs,
prêtres, commerçants, rient du cocu qui passe. Mais d’autres esprits fascinés
lui prédisent, un jour, l’encens des louanges penchées sur la poussière des
archives... À côté du Gascon et enveloppé dans un manteau de serge mauve, son fils
de trois ans s’est endormi. La poussière insidieuse du chemin s’introduit
partout dans le carrosse, les habits, les dentelles, le long de la voie
sablonneuse. Louis-Henri porte, étalée sur les cuisses, la robe de mariée de
Françoise. C’est une femme qu’il ne peut s’empêcher de continuer à aimer. Il a
le souvenir de sa présence, de ses propos si vifs et drôles.
    La nuit venant
après une première après-midi de voyage, Montespan dans une apparence d’auberge
ordonne qu’on dételle les chevaux, serve le cocher, puis il prend son fils
toujours endormi dans ses bras. Le petit ouvre les yeux, découvre les anglaises
blondes du Gascon : « Mam... heu, père. Père, est-ce vrai que je suis
marquis ? C’est maman qui me l’a... » « Elle a raison. Un seul
mâle par famille peut porter le titre et comme mon frère fut tué en duel, c’est
toi le marquis d’Antin. » L’auberge est un bouge plus pauvre, plus
misérable qu’on ne peut le représenter ; il n’y a rien du tout que de
vieilles femmes qui filent et de la paille fraîche sur quoi ils se couchent
tous deux sans se déshabiller. Une porte sans serrure, en planches disjointes,
bat et claque. Des trous crèvent le toit. Le hobereau, étendu sur le fourrage,
contemple le lait tiède des étoiles sortant de la lune. Les astres d’or fourmillent
comme un sable. Par la porte qui

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