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Le Monstespan

Le Monstespan

Titel: Le Monstespan Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean Teulé
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qu’une fois par jour, des biscuits et une écuelle de soupe avec
quelques fèves, une ration de piquette coupée d’eau de mer. Vous chierez dans
une cuvette en bois, dormirez tête-bêche sur des bancs en compagnie de manants,
de fous et d’assassins.
    Louis-Henri
hoche la tête en regardant ceux promis à cette destinée :
    — Je peux
leur parler ?
    — Je vous
en prie, marquis, faites connaissance ! Qui sait, vous voyagerez peut-être
bientôt à leurs côtés, monsieur que tout Paris soupçonne d’avoir écrit une
insolence sur le front du bâtard du roi... Est-ce vraiment vous qui avez osé
faire ça ? En tout cas, le petit est mort.
    Montespan se
lève et, près de Louis-Antoine, marche le long de la chaîne. Il demande à
quelques-uns pourquoi ils sont là. Celui-ci fut condamné à vie aux galères pour
un vol de mouches à miel. Un garçon pleure  – dix ans de rames pour un vol
de poireaux chez son voisin. Le marquis d’Antin a réfléchi :
    — Moi, je
me plierai toujours aux exigences du roi.
    Le Gascon
regarde son fils.

 
33.
     
     
    Le cours
sinueux de la Garonne flâne entre de molles barrières de collines tandis qu’à
l’horizon s’élève, de plus en plus haute, puissante et solennelle, la chaîne
bleue des Pyrénées. Le paysage se tourmente, se hérisse. Après avoir encore
changé six fois de chevaux, le carrosse roule sur des premières neiges car,
franchi les rives de la Baïse, il gèle dès novembre et voici les terres du
marquisat de Montespan. Là-bas, un château écrase de sa masse cubique le
minuscule village de Bonnefont blotti à ses pieds. Les villageois n’en
reviennent pas de ce qu’ils voient avancer :
    — C’est-y
donc not’maître ? Ah mais oui, c’est M. le marquis !
    Dans le
véhicule, Louis-Henri auscultant la peau de ses mains, s’étonnant de ne
toujours pas y voir apparaître la moindre pustule vénérienne, songe à
l’inguérissable plaie de son existence. L’angélus sonne à l’église paroissiale.
Les manants suivent le carrosse, l’entourent, le précèdent. Certains sont déjà
allés tambouriner à la porte du castel pour prévenir.
    C’est Cartet
 – l’ancien maréchal des logis de Puigcerdá  – qui, de ses bras
forts, écarte les deux battants du portail. Les moustaches toujours en garde de
poignard, il n’est pas bouche bée face au carrosse et Montespan, descendant,
s’en étonne car les villageois, eux, se trouvent en arrêt devant les ramures de
cerf dominant le véhicule noir. À coups de coude et de patois, ils se font
signe de reluquer le nouveau blason cornu du marquis affiché aux portières.
Louis-Henri, dans sa tenue de grand deuil, leur déclare :
    — Je suis
cocu ! D’ailleurs, ajoute-t-il en se retournant vers Cartet, il faudra
hausser le porche d’une toise pour, lorsque je rentre chez moi, laisser passer
mes cornes.
    L’ancien
maréchal des logis devenu concierge du château apprécie :
    — Il y a
du soudard chez vous, monsieur le marquis...
    Chrestienne de
Zamet arrive à son tour dans la cour :
    — Mon fils,
cette perruque ! Quelle étrange coiffure blonde, est-ce la nouvelle mode à
Paris ?
    — Hélas
oui, mère.
    Puis c’est
Marie-Christine qui apparaît, ce 15 novembre 1668. Son père s’agenouille et la
reçoit dans ses bras :
    — Bon
anniversaire !... ma jolie, précise-t-il alors que ce n’est pas vrai. Cinq
ans aujourd’hui, ça se fête. Je t’ai apporté un cadeau.
    — Maman ?
    — ... Un
cadeau acheté à Toulouse. Regarde, c’est ton petit frère qui te le donne.
    La fillette un
peu laide prend la poupée que lui tend Louis-Antoine et paraît déçue :
    — Ce
n’est pas maman...
    Le père
accroupi se décoiffe de sa perruque à la hurluberlu dont il couvre la tête de
la figurine humaine disparaissant presque entièrement sous le postiche. Cela
déclenche aux lèvres de Marie-Christine un sourire. Elle serre contre sa petite
poitrine la poupée et glisse un index dans une anglaise qu’elle tournicote
tandis qu’une adolescente s’approche timidement. Montespan lève les yeux :
    — Dorothée ? !
    Derrière elle,
Mme Larivière s’essuie les mains à un tablier. Chrestienne de Zamet raconte à
son fils :
    — Elles
sont arrivées la semaine dernière et c’est ainsi qu’on a appris votre
infortune, mon pauvre garçon. Nous n’avions plus de cuisinière alors je l’ai
gagée. Je me doutais que vous...
    — Vous
avez bien fait, mère.

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