Le mouton noir
nâhésita pas pour autant à partir. Il nâavait pas un sou et ne savait pas trop comment il pourrait se procurer de lâargent. Il se demandait où il irait. Son premier souci fut de se trouver un toit pour la nuit. Flânant à la Basse-Ville, il vit lâannonce dâune chambre à louer. Elle lui parut plus ou moins convenable. Mais on ne fait pas le difficile, surtout quand on nâa pas un sou vaillant à offrir. Usant de tous ses charmes, il parvint à convaincre la propriétaire de la lui louer pour deux jours.
â Je suis un gentilhomme, madame, vous avez ma parole: je vous réglerai mon dû dans deux jours tout au plus.
â Allez! Câest toujours la chanson que des jeunes hommes de famille comme vous entonnent et nous ne voyons jamais ensuite le moindre sol pour en défrayer le coût.
â Je nâai quâune parole, ma bonne dame, vous verrez. Mais en attendant, je vous laisse tout ce que je possède.
Il ouvrit le coffre qui contenait tous ses biens: ses hardes dâhiver et quelques livres.
La femme y jeta un coup dâÅil.
â Si je ne tiens pas ma promesse, vous pourrez vous dédommager. Mais rassurez-vous, vous nâaurez pas à le faire. Ces objets me sont aussi chers que la prunelle de mes yeux. Dès demain, je serai au travail. à peine de ne point manger, je vous remettrai tous les sous que je gagnerai.
Le lendemain, il sâengagea chez le marchand Lavigueur afin de tenir ses livres de comptes. Câétait un homme affable et compréhensif, et il accepta de lui avancer les sols nécessaires à la location de sa chambre. Ãa nâempêcha pas pour autant Clément de sâennuyer à mourir chez ce marchand, tant il haïssait passer des journées entières à aligner des colonnes de chiffres. Son patron ne se montrait pourtant pas très exigeant, se contentant de lâamener avec lui à lâarrivée des navires. Là , Clément sâinstallait au quai de débarquement, surveillant les marchandises quâon y déchargeait et que son maître lui indiquait avoir commandées. Il ne manquait pas de spécifier dans quel état elles étaient arrivées, précaution indispensable car souvent des marchandises abîmées durant la traversée étaient cause de procès et de récriminations.
Une fois ce travail accompli, il devait voir à inscrire au jour le jour lesquelles de ces marchandises étaient vendues, afin de dresser un inventaire complet de ce quâil faudrait faire venir de France.
Clément sâaperçut très vite quâil ne ferait jamais fortune à travailler à la tenue de livres pour le compte dâun marchand. Ce travail ne lui permettait dâespérer aucun avancement, il toucherait le même petit salaire de crève-faim année après année. Ãa lui apprenait cependant une chose: un marchand devait être très rigoureux dans la tenue de ses livres de comptes et également dans lâinventaire des marchandises dont il disposait. Après quelques semaines de ce travail, il en eut assez et décida dâaviser le marchand quâil aurait à se trouver un autre employé:
â Désolé, monsieur Lavigueur. Je vous remercie de mâavoir engagé, mais ce genre de travail ne me convient pas vraiment et je vous informe de ma décision de vous quitter dans trois jours.
Le marchand le regarda dâun air contrarié.
â Je te croyais plus vaillant que tu ne lâes. Je suppose que, comme beaucoup de fainéants, tu crois que lâargent pousse dans les arbres et que tu nâas quâà attendre lâautomne pour quâil te tombe dans les mains comme les feuilles. Apprends que ce nâest pas ainsi que ça se passe dans la vie. Mais à quoi bon! Je me rends bien compte quâà vouloir te sermonner, je perds ma salive et mon temps. La vie se chargera bien de te ramener sur terre. Mais je tâavise tout de suite: ne reviens pas me voir, je nâaurai pas de travail pour toi.
Il en était maintenant à son dernier jour de service et il réfléchissait à sa malheureuse situation tout en reportant dans le livre de comptes les profits du marchand Lavigueur. Une idée lui effleura lâesprit. Il serait si facile de fausser certains chiffres tout en empochant la différence. Repassant les dernières
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