Le mouton noir
avoir fouillé dans son bureau encombré dâun tas de registres et de liasses de papier, il finit par trouver ce quâil cherchait: une large feuille quâil tendit à Clément. Les mains derrière le dos, il se mit à arpenter la pièce en réfléchissant avant de prononcer:
â Ãcris ce qui suit:
Québec, le 16 octobre 1712
Monsieur Audibert,
Tel que convenu entre nous, je me suis rendu ce matin chez le sieur Langevin afin de percevoir la somme quâil vous doit. Inutile de vous dire quâil sâest exclamé bien haut ne pas vous devoir ce que vous exigez de lui. Il soutient quâil ne payera pas avant de voir vos livres et que vos écritures ne correspondent certes pas aux sommes inscrites au fur et à mesure dans ses livres de comptes pour tout ce quâil a acheté de marchandises chez vous.
Je ne doute pas quâil ait pu oublier, volontairement ou pas, dâinscrire certaines de ces marchandises. Il exige que vous veniez le rencontrer pour comparer sa liste à la vôtre, sinon il menace dâavoir recours à la Prévôté. Je lui ai conseillé dâabord de venir lui-même vous rencontrer puisquâil est votre débiteur, et ensuite seulement de prendre arbitre si nécessaire, plutôt que de risquer des frais devant la Prévôté.
Il nâa rien voulu entendre de ce que je lui proposais. Je ne sais quelle mesure prendre dans ce cas et jâattendrai plus dâinformations de votre part pour pousser plus loin cette affaire.
Votre tout dévouéâ¦
â Quant au reste, ça ira, signifia le notaire, je mâen occuperai et signerai avec paraphe.
Ayant terminé ses écritures, Clément saupoudra lâencre des dernières lignes pour sâassurer quâelles fussent bien sèches, puis souffla pour évacuer lâexcédent de poudre. Le notaire sâempara alors de la lettre et la lut attentivement.
â Câest bon, jeune homme, votre écriture me va, votre calligraphie de même, et je vois que vous avez bien appris puisque je ne trouve pas de fautes dans ces lignes. Si le cÅur vous en dit, je vous engage tout de suite pour quelques petits travaux dâécriture, sinon nous nous reverrons demain.
â Vous me voyez prêt à travailler dès maintenant.
â Dans ce cas, veuillez vous asseoir au secrétaire que voici et me faire copie des lettres suivantes.
Le notaire lui tendit une pile de feuilles. Clément se mit aussitôt au travail.
â Vous serez payé à la page, jeune homme, à condition que vous nây fassiez ni faute ni rature. Je vous préviens cependant que votre engagement ne deviendra définitif que le jour où je remplirai le poste que doit me confier lâintendant. En attendant, jâaurais bien quelques petits travaux pour vous, mais selon les demandes quâon me fera. Ne vous attendez donc pas à du travail quotidien. Est-ce que cela vous convient?
Clément sâempressa de répondre:
â Cela me va.
â Dans ce cas, vous passerez me voir tous les matins et nous aviserons. Mais à propos, il serait peut-être temps que je mâinforme de qui vous êtes et dâabord de votre nom?
â Clément Perré.
Le notaire leva les yeux au plafond et murmura:
â Ce nom me dit quelque chose. Voyonsâ¦
Il réfléchit encore un moment et dit:
â Ah! Ãa me revient! Seriez-vous par hasard parent avec le notaire Perré de Verchères?
â Câest mon père.
â Ah, bon! Ãa explique sans doute votre si bonne écriture. Je suis honoré que vous ayez choisi de travailler pour moi plutôt que pour votre père.
Clément hésita avant de répondre:
â Câest que je nâai pas vraiment choisi⦠Ce sont les circonstances qui mây ont poussé et comme je vis présentement à Québec, je me suis tourné vers vous afin de faire ce que je sais faire de mieux. Il me faut comme tout le monde gagner le pain que je mange.
â Peu importe les raisons qui vous ont incité à frapper à ma porte. Je pense que vous vous plairez ici si vous faites bien votre travail.
â Vous pouvez compter sur moi.
â Je ne suis pas un maître très strict, sauf en ce qui concerne la tâche que je vous confie. Là -dessus, je suis intraitable. Les
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