Le mouton noir
le bréviaire. Que me reste-t-il? Devenir marchand pour exploiter Pierre, Jean, Jacques? Nenni, très peu pour moi. Me balader et faire la courbette auprès des grands pour en retirer quelques faveurs? Jamais de la vie! à la rigueur je pourrais devenir geôlierâ¦
à voir lâexpression qui se peignit sur le visage de Jimmio, Clément éclata de rire. Le vieil homme comprit quâil nâapprendrait rien de neuf sur les projets de Clément et il préféra faire bifurquer la conversation sur un sujet qui lui tenait véritablement à cÅur.
â Monsieur Clément, Jimmio ferait.
â Quoi donc?
â Inventer chauffer maisons. Devenir riche. Cesser geler.
â Ah! Lâidée nâest pas mauvaise, mais je nâai point lâimagination quâil faut pour pareille invention.
â Pas notaire comme père à vous?
â Ãcrire des contrats de mariage, des obligations, des quittances, des ventes de terre, des marchés, des donations, des partages, des inventaires de biens? Allons, câest bien trop routinier. Il me faut quelque chose de plus diversifié, quelque chose qui me permettrait dâapprendre du nouveau tous les jours sans avoir à me déplacer, car je songe sérieusement à prendre femme. Mes frères ont trop couru pour même songer à se marier. Ils le feront peut-être sur leurs vieux jours, mais entre nous, ce nâest pas le moment indiqué pour fonder foyer.
â Quand vous, serez marié?
â Mon bon Jimmio, quand je trouverai la femme quâil me faut. Ce jour-là , si ce nâest pas trop tard pour toi, je tâinviterai à mes noces.
â Ce sera dans longtemps?
â Quelques années sans doute, le temps que je fasse un peu fortune.
â Vous docteur, peut-être?
â Lâidée nâest pas mauvaise. Je verrai bien une fois rendu à Québec.
â Jimmio serait heureux, vous docteur.
â Vraiment!
â Pour soigner moi, trop vieux, mal partout.
â Qui vivra verra! lança Clément.
Le cheval marchait maintenant au pas. Jimmio le fit accélérer. Clément bâilla, puis prit ses aises sur le banc, avec lâintention bien avouée de piquer un somme. Le vieux serviteur sâen rendit compte et lui demanda:
â Je réveillerai vous?
Même sâil nâétait pas encore dans les bras de Morphée, Clément ne répondit pas. Il songeait aux recommandations que son père lui avait faites avant son départ. Il ne lâenvoyait pas à Québec pour quâil y prenne du bon temps, mais bien pour quâil sâengageât sérieusement dans ses études. Son avenir en dépendait. Son père souhaitait le voir revenir au manoir après quelques années, diplômé dans une profession lui assurant un bon avenir.
â Ton frère Renaud est soldat et heureux de lâêtre, lui avait dit son père. Je ne me suis pas opposé à son choix. Ton frère Simon a décidé dâêtre cartographe. Ce fut sa décision et je lâai respectée. Toi, que comptes-tu faire?
â Je verrai une fois à Québec.
La réponse nâavait pas enchanté son père. Il nâavait pas insisté pour lui proposer ou encore le contraindre à sâengager dans une profession quâil nâaurait sans doute pas aimée. Au moins, là -dessus Clément demeurait libre et il en fut en quelque sorte reconnaissant à son père. Mais il nâétait pas fixé pour autant sur ce que lui réservait lâavenir.
Trois jours plus tard, parce quâil fallait bien faire un choix, Clément sâinscrivit en médecine au Séminaire de Québec. Il fut impressionné par la vastitude de cet édifice de quatre étages, aux épais murs de pierre, mais il nây resta pas trois semaines. Il se souvenait dâavoir dit au vieux Jimmio quâil se ferait geôlier. En voyant le nombre de clefs que certains ecclésiastiques du Séminaire portaient sur eux, il avait lâimpression quâils étaient tous des geôliers. Entre ces quatre murs, il se sentait en prison. Quoique bien conscient que sâil quittait le Séminaire, sa décision déplairait beaucoup à ses parents et quâen plus, il lui faudrait gagner sa vie dâune manière ou dâune autre, il
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