Le mouton noir
entrées quâil venait de faire, il tenta de voir de quelle façon il pourrait les trafiquer de telle sorte quâen allant solliciter une dernière fois les débiteurs de son maître, il pourrait glisser la différence dans ses goussets.
La tentation sâavérait si forte quâil sâempressa de songer à autre chose, mais comme un moustique tenace, cette idée lui revenait sans cesse à lâesprit. Des propos de son père lui remontèrent alors à la mémoire et lâempêchèrent de mettre ses desseins à exécution:
«Jâaimerais toujours mieux entendre de votre bouche et en toute vérité la pire de vos bêtises, que de lâapprendre par quelquâun dâautre à la suite de tous les mensonges que vous auriez inventés pour éviter de me la révéler. à mes yeux, la vérité est le seul chemin quâun homme digne de ce nom doit emprunter.»
Il sâimagina devant son père occupé à lui raconter comment il sây était pris pour falsifier les comptes du marchand Lavigueur afin de mettre la main sur quelques livres tournois. Il se figura le dialogue qui sâen serait ensuivi. Son père lui aurait certainement dit:
â Ce que tu tentes de mâexpliquer, câest que lâoccasion fait le larron.
â Jâavais faim. Je nâavais pas dâautres moyens de mâen tirer.
â En as-tu seulement cherché?
â Oui, mais je ne trouvais rien que je puisse faire et personne ne mâembauchait.
â Un homme qui a du cÅur déniche toujours du travail.
Son père, il le savait, nâaccepterait jamais des excuses de la sorte. Pourtant, Clément était réellement au pied du mur. Sâil ne voulait pas succomber à son idée de fausser les chiffres de son employeur, il nâavait quâune chose à faire: changer dâair. Il quitta le service du marchand comme il le lui avait dit. Plus tard, toutefois, il resta étonné lui-même quâun pareil stratagème lui ait traversé lâesprit.
Il lui fallait maintenant trouver autre chose, mais quoi? Il nâen avait vraiment aucune idée et il avait beau repasser dans sa tête tout ce qui lui plairait de faire, il se rendait bien compte que rien de cela ne lui apporterait la richesse. Or, précisément, câétait ce à quoi il rêvait. Maintenant quâil nâavait plus de travail, il sâavisait quâil avait peut-être été trop vite en affaires. Il se demandait ce quâil deviendrait et comment il allait désormais gagner sa croûte afin de pouvoir dormir tous les soirs le ventre plein et sous un bon toit. Cependant, il était très ambitieux, débrouillard et possédait une certaine confiance en ses moyens, aussi ne se laissa-t-il pas abattre, convaincu de trouver rapidement sa voie.
Chapitre 2
Commis aux écritures
Nâayant pas de quoi payer son retour jusquâà Verchères, et ne voulant surtout pas que son père apprenne quâil nâétait plus au Séminaire, Clément pila sur son orgueil et alla frapper à la porte du notaire Dubreuil. Il ne prit pas de détours pour lui demander:
â Nâauriez-vous pas besoin dâun clerc?
Le notaire, qui donnait lâimpression dâêtre un homme posé, lâexamina longuement des pieds à la tête avant de lui dire:
â Câest sans doute la Providence qui te mène chez moi aujourdâhui au moment même où lâintendant songe à mâoffrir le poste de premier secrétaire! Il y aura tant à faire à son service que jâaccepterai sa proposition, mais à la condition dâêtre secondé par un clerc. Jâai donc besoin dâun commis aux écritures. Mais rien ne me dit que ce sera toi. Je nâai pas lâintention de mâencombrer dâun incompétent. Il me faut dâabord savoir de quel bois tu te chauffes. Sais-tu au moins écrire sans fautes?
â Oui! Cela va de soi.
â Tu ne sembles pas manquer dâassurance. Es-tu au moins sûr de ce que tu avances ou le fais-tu par bravade?
â Je connais mes limites en dâautres domaines, mais au sujet de lâécriture, je sais ce que je vaux.
â Alors, montre-moi ce que tu sais faire.
Le notaire lui tendit une plume dâoie et un encrier, puis après
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