Le nazisme en questions
quel milieu sont-ils originaires ? L’on a souvent expliqué leur démarche comme une révolte des classes moyennes, menacées par la prolétarisation. Selon l’historien américain Lipset, le nazisme a su rassembler la petite et moyenne bourgeoisie, de religion protestante surtout, dans les petites villes, menée par un sentiment d’hostilité à l’égard des grandes entreprises. Thèse qui a été reprise par W.S. Allen dans son livre Une petite ville nazie, 1930-1935 (Laffont, 1967) (Northeim en Basse-Saxe), où l’on voit le national-socialisme se développer dans une société préindustrielle, menacée par la crise économique, et dont les inquiétudes sont aggravées par le langage marxiste que continuent à utiliser les sociaux-démocrates, pourtant devenus réformistes.
Nuançant cette thèse, Merkl fait observer d’une part que de nombreux hommes de gauche (Thaelmann par exemple) appartenaient également à cette bourgeoisie déclassée, d’autre part que les SA, loin de représenter une catégorie sociale définie, ont réussi à drainer l’ensemble des couches sociales, et en particulier le monde ouvrier, qu’il s’agisse des ouvriers en col bleu ou en col blanc (38 % et 21 % des effectifs) : ce qui permet de dire que « les SA ont servi d’instrument de pénétration dans le prolétariat », s’il est vrai que les catégories touchées par la propagande nazie ne sont pas les mêmes que celles qui restent fidèles – et inébranlablement – aux deux partis de gauche. Selon Merkl, il n’y a pas d’explication « monocausale » qui puisse rendre compte de l’énorme développement du corps des SA avant 1933. Il faut mettre en évidence les facteurs psychologiques qui ont pu déterminer l’ensemble de la société allemande : le choc de la défaite, l’humiliation du traité de Versailles, la lutte contre le séparatisme rhénan dans les premières générations, la dynamique du mouvement, l’idéologie antisémite et l’impuissance de la République pour les plus jeunes.
Quelles fonctions étaient départies aux SA ? Merkl en distingue trois : défiler, se battre dans la rue, faire du prosélytisme. Sous la République de Weimar, les SA remplissent cette double fonction d’impressionner la population par la stricte régularité de la colonne en marche, des uniformes et de la discipline (qui tranchait avec les cortèges faméliques des communistes), et de faire régner dans le pays une atmosphère de paralysie et de terreur, qui motivait à son tour la demande incessanted’une dictature susceptible de rétablir l’ordre. Cependant, le corps des SA ne constituait nullement, comme on a voulu le faire croire, un bloc homogène : à un prolétariat de militants et de cadres inférieurs qui étaient engagés dans les coups de main et subissaient des pertes sensibles, s’opposaient les instances de commandement, qui menaient autour de Röhm une vie facile et débauchée, où se sont développées les pratiques homosexuelles et qui n’éprouvaient pas le charisme d’Hitler avec la même émotion que leurs troupes.
Il était bien évident qu’après la prise de pouvoir par Hitler, en janvier 1933, la situation des SA devait poser problème. Leurs effectifs n’avaient cessé d’augmenter, atteignant quelque trois millions d’hommes, que l’on vit à l’œuvre dans les boycotts antisémites. Les violences dont se rendaient coupables les SA inquiétaient jusqu’à l’état-major de Röhm, qui voyait bien que ses troupes lui échappaient, mais qui se sentait d’autant plus contraint de leur donner satisfaction, afin de canaliser leur colère et de la faire servir à ses ambitions personnelles. « Nous n’avons pas fait une révolution nationale, disait-il encore en avril 1934, mais une révolution national-socialiste, et nous mettons l’accent sur le mot socialiste. » Depuis la prise de pouvoir, les SA, qui parlaient d’une « seconde révolution », étaient profondément déçus de ne pas voir le régime se retourner contre les forces réactionnaires, ignorant que Hitler était devenu depuis plusieurs années déjà l’obligé du monde capitaliste. Ils ne comprenaient pas que les grandes entreprises juives, qui leur avaient été présentées comme la source de leur misère, fussent seulement transférées à des Aryens.
À cela s’ajoutait la volonté de Röhm de faire de la SAla grande armée allemande, dans laquelle serait intégrée la Reichswehr :
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