Le nazisme en questions
communale et leur location à bas prix aux petits commerçants (point 16), et une réforme agraire qui envisageait des expropriations à grande échelle (point 17). Enfin, le dernier point ébauchait un corporatisme sommaire en prévoyant la création de « chambres professionnelles », courroies de transmission d’un « fort pouvoir central » 2 . Ni étatisation de l’économie, ni même programme cohérent, ces intentions ne visaient que des cibles traditionnelles dans le contexte de la crise du début des années 1920 : les monopoles, les capitaux spéculatifs et « apatrides », les grands propriétaires agrariens.
À ce programme anticapitaliste du parti nazi s’ajoutaient les conceptions assez floues de son chef en matière économique et sociale. Hitler considérait-il que l’économie était une « chose d’importance secondaire », comme il le proclamait dans un discours de septembre 1922 ? Il est certain que, dans Mein Kampf , le sujet n’est jamais évoqué, sauf pour souligner qu’un parti voué tout entier à la Weltanschauung et qui s’occuperait de problèmes économiques risquerait de détourner son énergie des tâches politiques fondamentales.
En revanche, une fois au pouvoir, Hitler se montra souvent intéressé par les questions touchant à l’économie du réarmement ou des matières premières, et il joua un rôle direct dans l’élaboration du plan de quatre ans. Il ne fut cependant jamais un chaud partisan de la propriété privée, donc du système capitaliste traditionnel, et soutint sans discontinuer le primat de la politique sur l’économie. Mais alors pourquoi le monde des affaires aurait-il choisi d’appuyer Hitler et les nazis ?
Il est sûr que, dans l’Allemagne des années 1920, les capitalistes se détachèrent progressivement de la république de Weimar à cause des concessions et des avantages qu’elle octroyait à la classe ouvrière et qui devenaient trop lourds à supporter, en particulier dans le contexte de crise économique. Puis, ils se tournèrent vers Hitler et le parti nazi, car les partis conservateurs et nationalistes traditionnels ne répondaient plus à leurs aspirations.
Ce revirement, qui se situe entre 1929 et 1933, s’explique non seulement par le conflit aigu entre la bourgeoisie et la classe ouvrière, mais également par les profondes divergences qui existaient au sein même des classes dirigeantes : conflits entre les agrariens et les industriels dont l’alliance traditionnelle du temps de l’Allemagne impériale (la Sammlung ) avait été rompue après la Première Guerre mondiale ; conflits entre les industries lourdes cartellisées à tendance protectionniste et les industries de transformation, confrontées à la concurrence internationale et favorables à une meilleure insertion dans le marché mondial ; conflits de nature politique et sociale sur la nécessité des ententes avec les syndicats ouvriers.
Mais les archives du patronat allemand et du partinazi démentent nettement la thèse selon laquelle le grand capital aurait apporté un soutien progressif et massif à Hitler avant les élections de mars 1933, donc a fortiori avant sa nomination au poste de chancelier. Elles remettent en cause trois points essentiels : le ralliement des industriels au nazisme, le financement du NSDAP par de l’argent patronal et la constitution d’un groupe de pression pro-hitlérien dans les dernières années de la république de Weimar 3 .
À partir de 1926, le parti nazi se lança à la conquête d’une certaine respectabilité. Par tactique, Hitler mit entre parenthèses les 25 points, car il s’adressait de plus en plus à des auditoires composés de dirigeants économiques. Ce fut le cas lors de la première rencontre d’Essen, le 18 juin 1926, suivie de trois autres en 1926 et 1927, comme lors de tournées dites « triomphales » dans la Ruhr à l’automne 1931, et plus encore lors de la rencontre au club industriel de Düsseldorf, le 27 janvier 1932. Mais le résultat de ces tournées fut au total assez maigre. Des ralliements, voire des adhésions au NSDAP, il y en eut mais très peu parmi les grands capitalistes, et encore moins parmi les personnalités qui pouvaient avoir une influence notable, en particulier au sein des puissantes fédérations professionnelles. Ces ralliements revêtirent toujours un caractère individuel, les grandes organisations patronales n’ayant jamais pris publiquement position
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