Le nazisme en questions
lien entre la pathologie d’un groupe restreint et la parfaite mise en œuvre du dessein meurtrier de ce petit nombre par l’immense machine bureaucratique ? Le charisme de Hitler a, sans conteste, beaucoup contribué à l’emprise et à la propagation de ses fantasmes antijuifs. Mais, bien plus encore, c’est la tendance constante du national-socialisme à éliminer toute distinction entre le plan du symbole et celui de la réalité qui facilite, par définition même, la pénétration constante du fantasme dans l’évaluation de faits réels. De cette façon, l’élément microbien dans le mythe nazi du Juif fut le facteur déclenchant de cet irréductible besoin d’exclure d’abord sa personne physique, de l’exterminer ensuite.
Adaptée à la mentalité de la petite et de la moyenne bourgeoisie de l’époque, l’idéologie raciale servit de cadre de référence. C’est sur ses critères que furent rationalisées les directives données au corps des fonctionnaires chargés de mettre au point les détails de la Solution finale. Mais cette idéologie était en fait trop nébuleuse pour jouer le rôle de premier moteur ; elle ne peut qu’avoir servi de courroie de transmission entre une tendance meurtrière de nature pathologique et l’organisation bureaucratique et technique de l’extermination. Elle s’inscrivait dans une synthèse plus large dont les autres composantes étaient les courants néoromantiques et antilibéraux ainsi que l’antimarxisme.
L’idéologie se révèle ainsi être un lien entre l’attitude antijuive des nazis et le comportement des témoins, c’est-à-dire de la société occidentale. Le rejet croissant des valeurs légalistes et universalistes du libéralisme traditionnel allait de pair avec une disposition croissante à annuler l’égalité en droits des Juifs. Quand Rothmund, le chef de la police suisse, donna aux Allemands, en 1938, l’idée d’imprimer la lettre J sur le passeport des Juifs d’Allemagne et d’Autriche, il suggérait par là, implicitement, de supprimer les droits légaux des Juifs dans le monde occidental. Et ce fut bien le ministre français des Affaires étrangères Georges Bonnet qui, au cours d’un entretien avec Ribbentrop à la fin 1938, mentionna la possibilité d’embarquer des milliers de Juifs pour Madagascar…
En évoquant l’attitude de la société occidentale à l’égard des Juifs, nous n’avons fait mention ni des actes de courage et de dévouement, ni de certaines protestations publiques, ni des manifestations de solidarité. Notre propos est, en effet, d’esquisser les principaux traits d’une tendance générale. Dans cette ligne, il apparaît que le comportement d’une fraction importante de la société occidentale à l’égard des Juifs fut lié à la même crise intérieure qui motiva l’attitude de ces groupes face au nazisme.
Tandis que les Juifs, perdant leur statut légal, étaient en train de devenir des « outsiders » dans leur rapport au monde occidental, les nazis apparaissaient aux yeux de beaucoup (surtout après qu’ils eurent engagé la bataille contre l’Union soviétique) comme d’authentiques détenteurs des valeurs occidentales : de vrais « insiders » – bien qu’étant des ennemis formels. Or aider l’« outsider » contre l’« insider » requiert une forte motivation et, pour cette seule raison déjà, les Juifs n’avaient aucune chance de se voir prêter grand secours avant que, pour tant d’entre eux, il ne fût trop tard.
Après avoir tenté de formuler quelques hypothèses sur le comportement des exterminateurs, celui des témoins et sur la relation entre les deux, nous observerons maintenant les victimes et poserons la question de savoir si certains traits du comportement des Juifs ont facilité le travail des exterminateurs ou leur ont, au contraire, créé des difficultés. L’attitude des Juifs a-t-elle un tant soit peu contribué à la passivité des témoins ?
On sait aujourd’hui l’inconscience des Juifs concernant la menace qui se profilait dès les années 1930. On peut alléguer qu’il n’existait aucun moyen de prévoir l’exact déroulement d’un processus aussi unique. Mais un sens de l’imminence du danger, dès la prise du pouvoir par Hitler, eût pu se développer parmi les Juifs. Or la plupart ne surent comprendre que le temps des changements radicaux était arrivé.
Nombre de Juifs allemands, de Juifs européens en général, se
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