Le nazisme en questions
du Juif, s’entend dire : « Vous n’êtes pas du château, vous n’êtes pas du village, vous n’êtes rien du tout. » Si nous considérons maintenant, dans la configuration globale de l’histoire, le rapport du Juif à cette société occidentale dans laquelle il a essayé de s’intégrer et dont il a été éjecté – cette société qui l’a laissé seul à l’heure du plus grand besoin –, alors le symbolisme du Château revêt une profonde signification que Hannah Arendt n’a pas mentionnée : le héros du roman, le Juif, est un étranger qui croit avoir été autorisé à pénétrer dans le système social représenté par le château du village. Certes, il y a été formellement invité (cela même est-il certain ?), mais quand il essaie de s’adapter au système, il s’aperçoit que personne n’est disposé à l’accepter. Puis il devient révolutionnaire à sa façon : il tente de contourner le canal traditionnel de l’autorité, exprime son indignation face à l’injustice telle qu’il la voit pratiquée, se range aux côtés des parias du système (la famille Barnabé).
L’effort révolutionnaire du héros du Château estambigu. Aussi est-il, en ce sens, symbole de la situation juive dans la société moderne. Son aspiration au changement radical est contrecarrée par un intense désir d’appartenir à la société telle qu’elle est, à la communauté majoritaire. Plus le héros du roman, le Juif, s’efforce d’y appartenir, plus il est isolé, plus sa chute est certaine. On peut imaginer le terme de sa malédiction, le verdict final.
Kafka n’a jamais terminé ce roman, mais il raconta à certains de ses amis la fin qu’il envisageait. D’après la relation de Max Brod, le héros tombe de plus en plus bas. Soudain, un message en provenance du château : il est accepté. Mais le message arrive trop tard. Le héros est mourant ou déjà mort.
Quand, après la fin de la guerre, la société occidentale a ouvert les bras aux Juifs ; quand, en réaction à la découverte de l’ampleur des massacres perpétrés par les nazis, la tradition antisémite fut – temporairement du moins – mise à l’écart, la plupart des Juifs d’Europe ne pouvaient plus pénétrer dans la nouvelle société. La question la plus difficile demeure – à jamais, peut-être – sans réponse ; la question la plus cruciale pour comprendre le passé et prévoir l’avenir : le château a-t-il envoyé le messager parce que l’injustice, le mal commis était reconnu ; ou bien le messager fut-il dépêché parce que le héros était, enfin, mort ?
Note
19 . L’écrivain allemand Maximilian Harden (1861-1927) mena une active campagne de presse contre la politique de l’empereur Guillaume II. Son compatriote Kurt Tucholsky (1890-1935) publia de violentes critiques du chauvinisme et du militarisme allemand. L’Autrichien Kark Kraus (1874-1936), pour sa part, se fit le juge de la vie sociale, politique et culturelle de son pays.
Un best-seller des années 1930
Mein Kampf d’Adolf Hitler, paru en 1925 et 1926 en Allemagne, ne connaît à ses débuts qu’un succès relatif : moins de 35 000 exemplaires vendus en 1929. Mais la montée des nazis et l’accession de Hitler à la Chancellerie en janvier 1933 donnent le signal d’une carrière fulgurante. Au total, Mein Kampf a été vendu à près de dix millions d’exemplaires.
En octobre 1933, paraissent les premières éditions étrangères. À Londres, Hurst et Blackett publient une version abrégée : My Struggle . La même semaine, elle est reprise aux États-Unis par Houghton Mifflin C° sous le titre My Battle . L’histoire de cette version ainsi que son retentissement en Angleterre et aux États-Unis ont été analysés dans Hitler’s « Mein Kampf » in Britain and America , par James et Patience Barnes 20 . Axé sur les traductions anglaises, il pose néanmoins des questions pertinentes, valables sans aucun doute pour l’ensemble des pays, dont la France, qui ont eu à combattre l’Allemagne nazie.
Pourquoi avoir attendu 1933 ? En effet, dès 1925, Eher Verlag, l’éditeur munichois, contacte des éditeurs à Londres et à New York pour vendre les droits de traduction. Sans succès. Le livre est trop long – près de huit cents pages et deux volumes pour les premières éditions – et d’une lecture « indigeste » et « sinistre ». La Crise arrivant, personne ne tient à courir le risque d’un
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