Le nazisme en questions
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Comme ministre de la Propagande, Goebbels a organisé quantité d’événements de genre et d’ampleur variables afin de mobiliser la nation et particulièrement ses élites. Grand agitateur, il orchestre la campagne de propagande pour le boycott des entreprises juives, le 1 er avril 1933. Il tient le 10 mai 1933 le « discours de flammes », prélude à l’autodafé conduit par les étudiants nationaux-socialistes. Lors de l’assassinat de Röhm, le 30 juin 1934 (la Nuit des longs couteaux qui entraîne l’élimination des SA), il coordonne la campagne de presse qui dénonce celui-ci comme traître homosexuel.
À l’issue des Jeux olympiques de Berlin, en 1936, il est l’hôte de la fête de clôture qui rassemble près de 2 000 invités de marque. L’année suivante, il organise l’exposition sur l’« art dégénéré » afin de combattre les tendances à l’abstraction et au modernisme de la peinture. Le 9 novembre 1938, il prononce devant la direction du parti un discours qui est le déclencheur de laNuit de cristal, ce pogrom national qui entraîne la ruine complète de Juifs allemands et fait plusieurs centaines de morts.
Pendant la guerre, malgré son exclusion des réunions stratégiques et alors que la défaite allemande est prévisible, il proclame, le 18 février 1943, au palais des sports de Berlin l’entrée dans la « guerre totale ». Son enthousiasme convainc ses auditeurs, qui se remobilisent et se disposent à tous les sacrifices. Le 20 avril 1945, voici Goebbels prononçant le discours pour l’anniversaire de Hitler à la radio : il annonce la « victoire finale » tandis qu’il a fait peindre en noir sur les murs de la capitale le dernier slogan : « Berlin bleibt deutsch », « Berlin reste allemand ». Quelques jours plus tard, la ville est envahie. Après Hitler le 30 avril, Joseph et sa femme Magda se suicident le 1 er mai non sans avoir tué au préalable leurs six enfants. Son dernier acte de propagandiste consiste à taire quelques heures la mort du Führer.
En somme, Goebbels aura suivi les évolutions de son temps. Ses innovations restent modestes au regard de ce qui fit la puissance de la propagande allemande : une course au zèle, un conformisme social, une active police politique et d’incroyables distributions de richesses et de biens de toutes sortes à ceux qui soutenaient la machine. Le mythe de la grandeur du III e Reich a vécu pour ceux qui en profitèrent. Seule la défaite ébranla véritablement les consciences et leva le voile d’illusions morbides qui douze ans durant gouverna l’Allemagne.
Notes
10 . Les conclusions ici présentées s’appuient sur un dépouillement d’archives conservées au Bundesarchiv de Berlin.
11 . L’incendie du Reichstag, le 27-28 février 1933, fournit l’occasion au pouvoir nazi d’arrêter les dirigeants communistes, accusés à tort d’en être responsables.
III
LES ALLEMANDS ÉTAIENT-ILS TOUS NAZIS ?
IV
L’ANTISÉMITISME ÉTAIT-IL AU CŒUR DU SYSTÈME ?
Tout était-il déjà écrit dans Mein Kampf ?
Six décennies nous ont permis d’accumuler les détails sur le sort des Juifs d’Europe pendant la Seconde Guerre mondiale, mais notre compréhension des faits se heurte toujours à la même opacité. Toujours la même question revient : comment l’extermination des Juifs d’Europe fut-elle possible, quelle explication peut-on en donner en termes historiques ?
Aucune explication unicausale ne saurait rendre compte du phénomène étudié. L’extermination des Juifs résulta de la convergence, en une configuration unique, de certaines forces identifiables. En effet, on perçoit d’emblée que, sans l’emprise bureaucratique et la technologie de domination et de destruction modernes, il n’y aurait pas eu de Solution finale, mais l’on perçoit aussi la résurgence de mythes anciens, d’obsessions qui rappellent les mouvements millénaristes et les visions d’apocalyptiques combats, la crainte de maléfices démoniaques, l’horreur de l’Impur.
Ainsi, l’action des nazis apparaît comme liée à l’irruption d’obsessions archaïques, élaborées en termes idéologiques contemporains et traduites en une extermination de masse par les moyens de domination et de destruction modernes. Nous voici donc replongés dansl’histoire et, face à
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