Le nazisme en questions
échec commercial. Hitler, avant 1930, n’est guère pris au sérieux à l’étranger.
Tout change évidemment en 1933. Mais alors, deuxième question : pourquoi publier une version abrégée et non l’intégralité de l’œuvre, lui ôtant ainsi son caractère de document brut ?
À cela, J. et P. Barnes avancent d’abord une raison commerciale. L’éditeur anglais veut faire vite. E.T.S. Dugdale, le traducteur, qui couve le projet depuis quelque temps, lui apporte une version traduite de trois cents pages environ. Il accepte, trop heureux de pouvoir sortir le livre alors que Hitler fait « encore » la une de l’actualité. Personne ne peut affirmer si cela va durer… Autre raison, politique celle-là : Hitler a mis un veto à toute parution intégrale à l’étranger. Le chef de bande, en effet, a fait place à un chef d’État. On expurge les nouvelles versions, et l’édition anglaise n’échappe pas à la règle. Elle est soumise à l’approbation des nazis par l’intermédiaire du correspondant à Londres du Völkischer Beobachter . C’est à cette condition que les droits de traduction sont cédés.
Troisième question : quelle est alors la valeur réelle de la traduction de Dugdale ? Dès sa parution, le livre est suspect. L’édition anglaise ne mentionne pas le traducteur et ne donne aucune indication sur les coupures. On pense à une opération de propagande. Le Times a publié en juillet 1933 des extraits de Mein Kampf . On fait des comparaisons et on accuse cette version d’être tronquée : « elle donne une fausse image du livre et de l’incroyable grossièreté intellectuelle de son auteur », écrit, par exemple, Leonard Stein, à l’éditeur.
Analysant cette version, J. et P. Barnes arrivent à la conclusion que le Führer y semble moins fanatique et plus fin politique. Les lacunes sont d’importance. Dans la version originale, Hitler spécifie que la conquête de l’« espace vital » se fera aux dépens de l’Europe centrale et de l’URSS. Une idée centrale « oubliée » par Dugdale.
Tel quel, le livre se vend d’autant mieux que se précise la « montée des périls », comme on le voit sur ce tableau :
My Struggle (G.-B.)
My Battle (E.-U.)
1934
4 700
5 500
1935
3 000
600
1936
3 600
800
1937
24 200
2 600
1938
53 700
3 500
1939
10 000
À la veille de la guerre, 100 000 exemplaires ont été vendus en Angleterre. Aux États-Unis on atteint les mêmes chiffres peu après.
Il faut attendre 1939 pour voir la publication à Londres du texte intégral, chez le même éditeur mais traduit cette fois par un certain James Murphy. Bien que ce dernier ait travaillé en Allemagne – dans les services de Goebbels ! –, les nazis protestent. L’éditeur allemanddéclare cette version « illégale ». Mais ils laissent faire, et la guerre va couper court à un éventuel procès. En août, 32 000 exemplaires sont déjà écoulés et, au total, J. Barnes estime qu’elle a atteint les 200 000 exemplaires. Aux États-Unis, deux versions concurrentes totalisent, elles, 300 000 ventes.
Et en France ? « L’ennemi mortel et implacable du peuple allemand est et demeure : la France », écrit Hitler dans Mein Kampf .
En février 1934, quelques jours après les émeutes, paraît une version intégrale de Mein Kampf aux Nouvelles Éditions Latines, traduite par Gaudefroy-Demombynes et Calmette. Dans une brève préface, l’éditeur souligne la nécessité vitale pour tout Français de connaître ce livre. Il ajoute que cette publication est illégale en regard de la propriété littéraire puisque Hitler n’a pas donné son accord. « Nous avons pensé qu’il était d’intérêt national de passer outre à ce refus. » Revendiquant l’entière responsabilité de cette publication, l’éditeur se justifie en reprenant à son compte une déclaration du Dr Frick, ministre de l’Intérieur du Reich : « Le droit, c’est ce qui sert le peuple allemand. L’injustice, ce qui lui porte dommage. » Mais la France reste encore un État de droit : suite à une plainte de l’éditeur allemand, un arrêt de la Cour de commerce de juin 1934 ordonne la mise au pilon des 5 000 exemplaires tirés. Elle condamne même l’éditeur français à un franc symbolique de dommages et intérêts.
Il semble qu’aucune autre version intégrale n’ait été publiée en France avant 1939. En revanche, le lecteur français a le choix entre une
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