Le nazisme en questions
même lorsqu’ils entrent en contradiction avec toutes les normeséthiques traditionnelles, sont d’autant plus facilement acceptés.
Dans l’idéologie nazie, dont celle de la SS n’est qu’une variante, l’être humain est d’ailleurs conditionné par son appartenance à une « communauté de peuples » (Volksgemeinschaft) , c’est-à-dire un ensemble racial et culturel. Il se réduit à un simple maillon dans une chaîne infinie d’ascendants et de descendants, une particule dans un éternel processus naturel. Au sein de ce cycle, la mort est un fait banal, et la tête de mort de l’insigne SS symbolise la faculté de la donner et de l’accepter.
En revanche, le code de conduite des hommes de Himmler s’inspire de l’ancienne tradition militaire et des valeurs des milieux conservateurs – obéissance, camaraderie, sens du devoir, intégrité et honneur personnels. Ainsi, un SS peut être sévèrement puni pour avoir menti ou volé, alors que l’assassinat de centaines de personnes au cours d’une « mission historique » lui vaudra une distinction. Ces « hommes taillés sur mesure » sont éduqués dans des écoles spéciales de SS Junker ou dans des écoles pour l’éducation politique nationale (Napola). Himmler cultive l’élitisme des SS dans d’anciens châteaux et forteresses où ils se réunissent selon un rituel inspiré de celui des jésuites, à la différence près qu’on n’y invoque pas l’exemple du Christ mais celui des dieux germaniques.
Au-delà du modèle idéologique qu’elle incarne, la SS a pour mission de protéger le Führer et son régime contre leurs ennemis. Les nouveaux maîtres de la police donnent une définition extensive de ces derniers : « Est ennemi de l’État toute personne qui s’oppose consciemment au peuple, au parti, à ses fondements idéologiques ainsi qu’à ses actions politiques. » Cette vision dichotomique du monde est encore illustrée par un texte de janvier 1939 : « En politique, il n’y a que deux possibilités […] Qui n’est pas pour l’Allemagne, mais contre elle, n’est pas des nôtres et sera éliminé. »
Si la SS a d’abord exercé une répression visant les adversaires politiques et idéologiques immédiats du nazisme – les communistes, les sociaux-démocrates, les Juifs –, sa conception de la sûreté absolue la conduit à élargir le champ de son action. Dès lors, elle ne se contente plus d’arrêter et de punir ceux qu’elle considère comme des malfaiteurs. Elle mène une répression préventive, jusqu’à la perversion, contre un ennemi idéologique abstrait, contre le mal absolu qu’incarne « le Juif ». Une fois, les adversaires politiques éliminés et le NSDAP déclaré parti unique, le 14 juillet 1933, la Gestapo s’attaque ainsi aux Églises, aux non-conformistes, aux simples mécontents, tandis que le SD entreprend de chasser les Juifs et autres « parasites ». Enfin, le service de renseignement du RSHA (III), dirigé par Otto Ohlendorf à partir de 1939, établit des rapports mensuels sur la situation intérieure du Reich qui enregistrent les réactions de l’opinion à l’égard du régime. Pendant la guerre, ces comptes rendus deviendront journaliers.
Mais aux yeux de Himmler, de Heydrich et de bien d’autres, il ne s’agit pas seulement d’assurer les assises politiques, socio-psychologiques et économiques du pouvoir. Ils veulent que les services de sûreté et la police jouent un rôle fondateur dans le nouvel ordre national-socialiste. La bureaucratie SS de la terreur incarne ainsi la volonté d’une « révolution permanente » qui doit détruire l’ordre ancien et construire des institutions nouvelles. L’ambition de la SS vise, en effet, à transformer totalement la société et à créer un grand empiregermanique. À ces fins, l’organisation de Himmler a besoin de la guerre. Car seule la guerre instaure un état d’exception permanent, renforce le système de répression et de surveillance, et permet le remplacement des anciennes élites politiques, économiques et militaires par les hommes nouveaux que forme l’Ordre noir SS : les soldats politiques.
C’est aussi la guerre qui accroît l’importance de la Waffen-SS. Au début de 1935, celle-ci compte sept mille hommes, environ vingt-trois mille en 1939 et presque six cent mille en 1944. Beaucoup d’entre eux ont été recrutés hors d’Allemagne et, depuis 1943, cette armée
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