Le nazisme en questions
couronnerait les initiatives de Hitler, il était peu probable que les élites allemandes, et même ce noyau d’opposants, passent à l’action.
Il est vrai que la position de Hitler paraissait désormais inébranlable, campé qu’il était sur le pavois de sa popularité. La réduction progressive du chômage et le retour du plein emploi, le redressement de la puissance allemande sur la scène internationale, la dérivation sur les dirigeants du parti nazi et sur les membres du gouvernement des mécontentements de la population, l’apparence de stabilisation légale qu’avaient donnée à la persécution antisémite les lois de Nuremberg, tout cela concourait à lui conférer un prestige incommensurable. Les oppositions n’avaient certes pas disparu mais, comme il en allait pour les dissidents et les non-conformistes, la Gestapo les avait suffisamment atomisées et intimidées pour qu’elles ne représentent plus un danger. Le régime, qui gardait ses ambitions de contrôle total de la population et menait désormais un combat souterrain contre les Églises, se sentait mieux en selle, comme le montre la courbe des détenus dans les camps de concentration : le point le plus bas de leur histoire – environ sept mille cinq cents détenus – fut touché en 1936-1937.
Une fois pourvu en hommes de main, Hitler n’avait qu’à attendre le moment propice. Le contexte lui était favorable, il le savait : ce n’était pas sans de bonnes raisons qu’il pensait pouvoir lancer ses dés avec quelques chances de succès. La remilitarisation de la Rhénanie, en 1936, lui avait permis d’entreprendre la construction d’une ligne de fortifications, la ligne Siegfried, qui rendrait difficile aux Français de venir au secours de leurs alliés de l’Est, à commencer par les Tchécoslovaques. Elle les plaçait, en effet, devant l’alternative peu enviable de rester au balcon ou de plonger dans une guerre longue, pour laquelle il leur faudrait l’appui anglais. Or l’Angleterre, soucieuse d’ajuster des moyens limités et des engagements répartis à la surface du globe, montrait peu d’inclination à s’opposer par la force à une révision des frontières en Europe centrale. Hitler pouvait compter, de surcroît, sur la compréhension de l’Italie fasciste qu’avaient rapprochée de lui la guerre d’Éthiopie et surtout la guerre d’Espagne. Restaient la Pologne, neutralisée par le pacte de non-agression qu’il avait conclu avec elle en 1934 ; l’URSS, certes liée par un traité de défense avec la Tchécoslovaquie, mais affaiblie par les purges de Staline et qui n’allait pas se risquer à faire barrage toute seule à l’expansion allemande ; enfin,les États-Unis, lointaine puissance qu’éloignait encore un robuste isolationnisme que Roosevelt peinait à rompre.
Le choix de s’en prendre à l’Autriche et à la Tchécoslovaquie était fait pour assurer un succès au moindre risque. Il était bien peu question, ici, de révision du traité de Versailles puisque ces jeunes pays avaient fait partie de l’Empire austro-hongrois avant 1914, et non de l’Empire allemand. Cette révision qui avait la faveur de tant d’Allemands et que Hitler n’avait jamais invoquée qu’afin de camoufler des objectifs autrement plus vastes, eût supposé de diriger les coups vers la Belgique (pour récupérer Eupen-Malmédy), la France (l’Alsace-Lorraine) ou la Pologne (le fameux corridor). Mais c’eût été provoquer la formation d’une large coalition, alors que l’absorption de l’Autriche et de la Tchécoslovaquie ne léserait que des intérêts plus dispersés et moins importants, sans compter que l’idée de la réunion des Allemands dans un seul État offrait une très utile arme pour neutraliser les opinions publiques. Pur paravent, naturellement, que cette référence à l’autodétermination des peuples, Hitler visant dès le départ l’écrasement de la Tchécoslovaquie tout entière.
Ses motifs étaient avant tout stratégiques et économiques : éliminer le facteur militaire tchèque, qui était loin d’être négligeable, et s’emparer de ressources dont l’Allemagne avait grand besoin. À cet égard, Hitler avait donné un aperçu, lors de la réunion du 5 novembre 1937, des méthodes qui avaient sa préférence et qu’il emploierait en Europe orientale un peu plus tard. Ces deux pays, avait-il déclaré, pourraient nourrir 5 ou 6 millions d’hommes, et il avait ajouté :
Weitere Kostenlose Bücher