Le nazisme en questions
lors de la même nuit, quelques-unes de leurs figures de proue, en particulier le général Kurt von Schleicher, son prédécesseur à la chancellerie. Préfiguration d’une autre épuration, infiniment plus sanglante, celle qui allait frapper les conservateurs mêlés de près ou de loin à la tentative d’assassinat de juillet 1944.
En comparaison, l’épuration à laquelle Hitler procéda à la fin de 1937 et au début de 1938 fut à la fois limitée et paisible. Elle n’en marqua pas moins une étape importante dans l’instauration de son pouvoir absolu. La série de succès intérieurs et extérieurs qui avait déplacé le rapport de forces en sa faveur avait également fait apparaître de plus en plus clairement la séparation des chemins. Si l’accord demeurait solide sur la reconstitution de la puissance allemande et sur le rétablissement d’une prépondérance en Europe, les conservateurs laissaient deviner leurs inquiétudes sur le tempo de cette politique et surtout sur les risques qu’elle comportait. Que serait-ce alors quand il s’agirait de conquérir l’« espace vital » du peuple allemand en Europe orientale, avec la chaîne de guerres qu’il y faudrait…
La première éviction fut celle de Hjalmar Schacht, privé en novembre 1937 de son poste de ministre de l’Économie, puis en janvier 1939 de son autre poste, celui de président de la Reichsbank. Schacht, le magicien de l’économie, avait joué un rôle précieux en tirant l’Allemagne de la crise économique. Mais les divergences n’avaient pas tardé à apparaître et à s’élargir aufur et à mesure que le réarmement prenait une place centrale dans la vie économique du pays. Dès 1936, Schacht demandait de le freiner au nom de la stabilité de la monnaie et du maintien des capacités exportatrices de l’Allemagne sur le marché mondial. Hitler entendait, au contraire, le pousser le plus possible, fût-ce en produisant à des coûts prohibitifs les matières premières nécessaires. Une stratégie qui, comme Schacht l’avait bien compris, devait rapidement conduire à une politique extérieure agressive.
En janvier et en février 1938, plusieurs des participants à la réunion de novembre précédent furent à leur tour évincés. Le ministre des Affaires étrangères, Konstantin von Neurath, fut envoyé dans une retraite dorée et remplacé par un fidèle de Hitler, Joachim von Ribbentrop, l’homme des missions officieuses à l’étranger et ambassadeur à Londres depuis 1936. Puis, exploitant des affaires de mœurs, Hitler se débarrassa du ministre de la Guerre, le général von Blomberg, dont il reprit les fonctions, et de von Fritsch, le commandant en chef de l’armée de terre, auquel il substitua von Brauchitsch, tandis qu’il plaçait un homme qui lui était tout dévoué, Keitel, à la tête d’une nouvelle structure, le haut commandement des forces armées, qui devait chapeauter les trois armes. Les remous que ces changements pouvaient faire craindre chez les militaires furent apaisés par le succès de l’Anschluss. Davantage, les militaires eurent à cœur d’accentuer leur alignement sur le régime en introduisant le salut hitlérien dans l’armée.
Signe que ces évictions marquaient un tournant, la collégialité gouvernementale cessa d’être respectée vers la même époque. Les réunions du Conseil des ministres s’espaçaient depuis quelque temps, il est vrai, maisdurant toute l’année 1938, il n’y eut qu’une réunion, et ce fut la dernière. Les ministres et les dirigeants du parti travaillaient de plus en plus de leur côté, chacun dans le fief qu’il s’était taillé. Du coup, Hitler s’imposait plus que jamais en arbitre et en instance de dernier recours quand les disputes entre ses subordonnés ne trouvaient pas d’issue à leur niveau. Si l’on ajoute qu’il gardait sous son contrôle direct les affaires extérieures, les questions militaires et la persécution antisémite, sa liberté d’action et son pouvoir n’en prennent que plus de relief, une liberté et un pouvoir que les conservateurs ne pouvaient guère limiter désormais, sinon en recourant aux méthodes extrêmes du complot et du putsch. Certains militaires, autour du général Beck, le chef d’état-major de l’armée, hostile à une opération contre la Tchécoslovaquie et qui démissionna pour cette raison de son poste en été 1938, commençaient d’ailleurs à y penser. Mais tant que le succès
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