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Le neuvième cercle

Le neuvième cercle

Titel: Le neuvième cercle Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Christian Bernadac
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etc.
    — Notre travail consistait à extraire du sable de la falaise, à le cribler et à charger quelquefois des camions quand il s’en présentait. À ce sujet, un jour arrive, tirée par deux chevaux, une charrette conduite par un jeune S.T.O. originaire de la région de Saint-Mars-la-Jaille, en Loire-Atlantique, à quelque 15 ou 20 kilomètres du lieu où j’avais été arrêté et où j’avais laissé ma famille dont j’étais absolument sans nouvelles. Je lui ai demandé de faire savoir à ma femme où j’étais et, par la même occasion, d’en faire autant pour les camarades de la région qui étaient à Mauthausen et à Melk, en lui communiquant la liste. Avec adresse, par son père, il a réussi à le faire en évitant la stricte censure postale allemande. Cela a tranquillisé ma femme à mon sujet, le bruit ayant couru que j’avais été fusillé à Angers. Cela se passait fin avril. Courant août, un camarade revenant du chantier de l’usine vient me dire qu’il avait rencontré un jeune Français qui me faisait savoir que tout allait bien chez moi, qu’après mon arrestation, ma famille n’avait pas été inquiétée. À la Libération, j’aurais aimé retrouver ce jeune pour le remercier. Hélas ! je n’avais ni son nom ni son adresse et, malgré mes recherches, cela me fut impossible.
    — Donc le travail au Sandkommando se faisait à toute petite allure… quand on travaillait, car la journée se passait de la manière suivante : le kapo en vadrouille, Jacquet, en haut de la falaise où il était supposé dégager la couche de terre végétale recouvrant le sable. Assis dans l’herbe ou appuyé sur sa pelle, il surveillait les environs et signalait toute visite dangereuse, car il voyait sur une très longue distance la seule route d’accès à la carrière. Les autres, en bas, allongés au soleil, nous attendions l’heure du retour au camp. Zamanski, Robert Jude, l’abbé Varnoux, musiciens confirmés, aidés et dirigés par le Posten-Kapellmeister, reconstituaient de mémoire des morceaux de grande musique : Bach, Beethoven, Mozart… Pour être plus à l’aise, pour battre la mesure, notre gardien se débarrassait de son fusil qu’il confiait à l’un de nous et, pendant des heures, tant qu’il n’y avait pas d’alerte déclenchée par Jacquet, et pas de camion à charger, nous assistions à un concert. Dans notre situation, c’était étonnant et amusant de voir nos musiciens imitant à la perfection les différents instruments de l’orchestre.
    — Tous les jours vers 10 heures le matin, nous avions aussi une distraction : celle de voir passer, à quelque 50 mètres de nous, l’Orient-Express avec ses plaques sur lesquelles on lisait : Mulhouse-Belfort-Paris. Pour nous ce train filait vers notre patrie, soulevait avec des envies d’évasion, une profonde émotion. Heureusement, il y avait des spectacles beaucoup plus réjouissants pour nous ; c’était le spectacle fréquent des trains militaires revenant du front de l’Est. À l’état du matériel sur les wagons plats, et des hommes abattus et tristes, ainsi qu’au nombre important de trains « Croix-Rouge », nous appréciions, avec satisfaction, la frottée que l’armée allemande subissait de la part des Russes. Le moral de ces troupes remontant du front était plutôt bas ; où étaient l’enthousiasme et les chants et l’arrogance du temps de leurs victoires ? Cette vision nous remontait sérieusement le moral et celui des camarades restés au camp, à qui nous en faisions le récit chaque soir. Il leur fallait beaucoup de détails : combien de trains ? Beaucoup de blessés ? État du matériel, etc.
    — Une fois le Sandkommando dissous, nous avons été tous versés au Lagerkommando, dont le personnel était employé à l’installation définitive du camp. Commencé en avril 1944, ce travail était terminé en septembre-octobre. Au fur et à mesure de l’avancement des travaux, le volume des équipes fut réduit par tranches et les hommes, devenus disponibles furent employés ailleurs. Un des avantages d’être employé à l’intérieur du camp était évidemment celui de ne pas être obligé de parcourir, par tous les temps, des distances importantes, à allure extrêmement rapide, mal chaussés, sur des chemins défoncés, d’avoir la possibilité de s’abriter un peu mieux des intempéries et aussi celui d’arriver avec beaucoup plus de facilité à se camoufler. Enfin, nous

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