Le neuvième cercle
excellent souvenir. Ayant dérobé un seau plein de pommes de terre aux « pluches » – pommes de terre destinées à la cuisine des S.S. et de la troupe allemande qui nous gardait – on décide de profiter de notre cachette pour les faire cuire avant de les partager entre les camarades. Au fond de la fosse, on allume donc un feu de planches, on y pose le seau qui, déjà, commençait à bouillir lorsque les camarades affolés viennent nous prévenir qu’une colonne de fumée intempestive s’élevait de notre cachette et était visible de partout. Hélas ! adieu repas tant attendu ! Mais tout a une fin et des camarades, estimant que nous avions assez profité de notre farniente, ont postulé pour nous remplacer, la fosse fut démolie mais il fallut plus d’un bon mois pour y arriver. Normalement, pour des travailleurs corrects il aurait fallu au maximum quelques jours.
— Après l’épisode de la fosse, il me fut demandé de percer les fondations du garage pour faire passer la fameuse canalisation de l’égout. Intéressant, par le fait que cela me donnait accès aux cuisines, mais aussi, l’avenir le prouvera, cela devait modifier entièrement ma position parmi tes déportés, où tout en restant dans le rang, je fus, par l’enchaînement des circonstances, beaucoup avantagé et mon sort a été, en quelque sorte, bien meilleur que celui de l’ensemble des camarades.
— Ces fondations avaient 2,50 mètres d’épaisseur. Elles étaient constituées d’un béton très dur. Tout le monde s’y essaya, même les kapos, sans résultat. C’est à peine, même en cognant avec la plus grande énergie, si l’on arrivait à les écailler. Les burins et barres à mine s’y émoussaient et rebondissaient sans pénétrer. C’est alors que je propose de faire appel à un spécialiste : mon camarade Quentin Miglioretti, de Châteaubriant, arrêté en même temps que moi. Sorti immédiatement d’un kommando de l’usine, il se joint à nous et, avec son expérience professionnelle, lentement mais sûrement, faisant l’admiration de tous les incapables qui s’y étaient essayés, il fait l’ouverture. À la suite de cet exploit, il fut incorporé au « kommando des cuisines » où il y avait encore beaucoup de travaux à faire.
— L’installation du camp avançant, les effectifs du Lagerkommando furent réduits. Quentin et moi fûmes, sans avoir rien sollicité, gardés aux cuisines ; la plupart des anciens du Sandkommando constituèrent une nouvelle équipe avec l’abbé Varnoux, Traversât, Jude, « Le Consul », etc. dont Marc Zamanski fut le kapo désigné. Ce kommando, un des meilleurs de Melk, était chargé de construire sur les bords du Danube, à proximité du camp, dans un site bien abrité, une station de pompage. Mais en raison de l’ardeur au travail de nos camarades, elle resta à l’état d’ébauche. Sous la conduite d’un kapo, également français : Buffet, originaire d’Orléans, un autre kommando fut formé, excellent lui aussi, chargé de creuser sur une colline voisine, le château-d’eau correspondant à la station de pompage. Pas plus d’ardeur ici qu’ailleurs, et l’on peut penser que les terrassiers surent profiter de leur commencement de trou pour s’y cacher et y faire de belles siestes. Du camp l’on voyait, très distinctement, le lieu de leur travail ; je puis témoigner que l’on y distinguait rarement une activité, ni que l’on y voyait un seul homme. Le chantier paraissait désert.
— Pour tous ceux-là, s’il n’y avait pas eu l’incertitude de l’avenir, les risques, les dangers, les maladies, la faim lancinante, le froid, les intempéries, le cafard, la vie aurait été acceptable. Mais déjà, il faut le reconnaître, ne pas être obligé de travailler sans arrêt, sous les coups, à des travaux exténuants, ne pas être astreint à des trajets interminables, cela était appréciable. Mais même dans les kommandos les plus redoutés et les plus meurtriers, il était possible, pour certains à la longue, de réussir à améliorer sa situation. Par exemple, un matin, à l’arrivée sur le chantier, un dégourdi, soit bénévolement, soit qu’il ait été désigné, distribue les outils et le soir les récupère. Au bout de quelques jours, il devient systématiquement le garde-magasin et, s’il a tant soit peu l’adresse d’avoir l’air d’y faire quelque chose d’utile, il ne quitte plus la baraque servant de resserre à
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