Le neuvième cercle
été découverts… cachés dans les paillasses chez les Russes. Les malheureux furent soumis, pendant quarante-huit heures, sans arrêt, à une séance de dressage terrible. Debout, couchés, marche en canard avec un sac de sable ou de pierre de 50 kilos sur les épaules, ramper dans la boue. Ce fut atroce. Il n’y avait que des Russes, avec leur tempérament, pour tenir sous un tel régime.
— La surveillance des cuisines fut renforcée après cet incident. On vit arriver un S.S. meneur et dresseur de chiens de garde et d’attaque. Ces chiens étaient féroces, avec des gueules et des crocs impressionnants. Au début, ils ne pouvaient pas nous voir ; il était dangereux de passer à leur proximité. Leur gardien était une brute qui les maltraitait, les cravachait sans cesse et tirait violemment sur la chaîne reliée à leur collier muni de pointes acérées. Peu à peu, ils s’habituèrent à nous, devenant indifférents à notre égard. Ils finirent par accepter un morceau de pain qu’on laissait tomber à leur portée. Enfin, au bout de très peu de temps, ils se civilisèrent tout à fait. Laissés seuls la nuit avec nous, bouclés dans les cuisines, ils finirent par nous avertir par leurs grognements, leur attitude inquiète, de l’approche de leur maître et même de tout S.S. Hélas ! l’un d’eux poursuivant avec ardeur un énorme rat qui passa sous les barbelés à haute tension, entraîné par son élan, heurta les fils et fut électrocuté. Après cet incident, son compagnon fut retiré des cuisines.
— Il nous arrivait, à nous aussi, de parfois nous livrer à un trafic : ainsi pour trouver au profit d’un camarade (le capitaine Meaudre de l’aviation) une paire de chaussures dont il avait un besoin urgent, j’ai « piqué » dans le fameux magasin environ un kilo de sel. Le sel faisait totalement défaut dans le Reich pendant la guerre. Le peu qui était extrait des mines était réservé à l’armée. Avec ce petit sac de sel, par l’intermédiaire d’un des maçons autrichiens travaillant avec nous, j’ai obtenu une paire de souliers en cuir, presque neufs.
— Willy avait une frousse intense des bombardements aériens. Aussi, lorsque sa présence devenait gênante, il suffisait de crier : « Flieg-alarm » pour le voir détaler vers les abris, nous laissant ainsi la place libre. À côté des autoclaves derrière lesquels étaient dissimulées nos « kessels », prêtes à sortir. Donc rien à faire tant qu’il serait là. Nous étions en janvier, il faisait très froid, aux environs de moins 20°. Les Russes avaient lavé, au jet d’incendie, les locaux, faisant couler ainsi par la porte une grande quantité d’eau qui avait gelé et formait une magnifique patinoire. Censé revenir de vider des cendres, je rentre aux cuisines, en prenant beaucoup de précautions pour traverser le miroir glissant qui s’étendait à l’extérieur et en criant à pleins poumons : « Gross Flieger-alarm. » Entendant cela, Willy, la figure pleine de savon, abandonne le rasoir, attrape sa veste et, à toute vitesse, il fonce vers la sortie, bousculant tout sur son passage. Sans ralentir il se lance sur la glace, dérape, tombe dans un fracas énorme, glisse sur le dos sur une longue distance, se relève, non moins vite, et disparaît derrière le mess des S.S. Tard dans la soirée, il revient, le bras dans une attelle et en bandoulière. Lui présentant mes condoléances pour son accident, je lui dis tout à coup : « Mais c’est une blessure de guerre ! Tu es un blessé de guerre ! Tu vas recevoir la Croix de Fer ! » S’apercevant que je me moquais de lui, il devient mauvais. Aussi je n’ai pas insisté, mais nous avons bien ri et de son courage et de sa bûche.
— Malgré la surveillance, nous avions l’adresse de rouler les Allemands qui n’y voyaient rien. Le ravitaillement à l’approche de la fin devenait de plus en plus difficile et même pratiquement introuvable. Strieckel (je l’ai déjà dit) faisait des miracles et, avec beaucoup de conscience et de travail, s’efforçait néanmoins de trouver quelque chose.
Revenant d’une prospection, il fait, un jour, décharger des pis de vaches dont il avait rempli un demi-camion. En même temps, pour l’usage de la popote des sous-officiers, il avait rapporté deux porcs. Il demande à Combanaire et à Georges – ou Macau ? de les leur préparer. Ce n’était guère difficile ni compliqué : tout
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