Le pays de la liberté
ª
Lizzie ne trouvait rien d'autre à dire. Elle resta là quelques instants silencieuse. ´Je redescendrai ici tous les jours, si je peux, dit-elle enfin.
- Merci.ª
Elle tourna les talons et sortit rapidement.
Elle revint sur ses pas, s'apprêtant à élever des protestations indignées mais, quand elle croisa le regard de Silas Bone, elle vit sur son visage l'expression d'un tel mépris qu'elle ravala ses paroles. Les forçats étaient à bord. Le navire allait appareiller. Rien de ce qu'elle pourrait dire ne changerait quoi que ce soit maintenant. Des protestations ne feraient que justifier la mise en garde de Bone qui lui avait dit que les femmes ne devraient pas descendre dans l'entrepont.
´Les chevaux sont confortablement installésª, dit Jay d'un air satisfait.
Lizzie ne put s'empêcher de répliquer: Íls sont mieux lotis que les êtres humains !
- Ah, ça me rappelle, fit Jay. Bone, il y a dans la cale un forçat du nom de Sidney Lennox. Faites-lui ôter ses fers et mettez-le dans une cabine, voulez-vous?
- ¿ vos ordres, monsieur.
- Pourquoi Lennox est-il avec nous? fit Lizzie, horrifiée.
- Il a été condamné pour recel de biens volés. Mais il a travaillé pour nous dans le passé et nous ne
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pouvons pas l'abandonner. Dans la cale, il risquerait de mourir.
- Oh, Jay! s'écria Lizzie, horrifiée. C'est un si méchant homme !
- Tout au contraire, il est fort utile. ª
Lizzie détourna la tête. Décidément, Lennox les poursuivrait toujours. Jay n'échapperait-il donc jamais à son influence maléfique ?
´La marée arrive, Mr. Jamisson, fit Bone. Nous allons lever l'ancre.
- Mes compliments au capitaine, et dites-lui de mettre la voile. ª
Ils remontèrent tous l'échelle.
quelques minutes plus tard, Lizzie et Jay étaient debout à la proue tandis que le navire commençait à descendre le fleuve avec la marée. La fraîche brise du soir fouettait les joues de Lizzie. Le dôme de Saint Paul disparaissait à l'horizon des entrepôts. Elle dit : ´Je me demande si je reverrai jamais Londres. ª
III
La Virginie
26
Mack gisait dans la cale du Rosebud, tremblant de fièvre. Il se sentait comme une bête: sale, presque nu, enchaîné et impuissant. C'était à peine s'il pouvait se tenir debout, mais il avait les idées assez claires. Il se jura que plus jamais il ne laisserait personne lui mettre les fers aux pieds. Il se battrait, tenterait de s'échapper au risque de se faire tuer plutôt que de subir une nouvelle fois cette humiliation.
Un cri excité provenant du pont parvint jusqu'à la cale : ´ La sonde à
trente-cinq brasses, capitaine... du sable et des roseaux ! ª
Des acclamations montèrent de l'équipage.
´ qu'est-ce qu'une brasse ? demanda Peg.
- Six pieds d'eau, dit Mack, soulagé malgré son épuisement. «a veut dire que nous allons bientôt toucher terre. ª
Récemment, il avait eu l'impression qu'il n'y arriverait pas. Vingt-cinq des prisonniers étaient morts en mer. Non pas d'inanition : il semblait que Lizzie, qu'on n'avait jamais revue dans l'entrepont, avait néanmoins tenu sa promesse et s'était assurée qu'ils avaient assez à manger et à boire.
Mais l'eau potable était infecte et le régime de viande salée et de pain d'une malsaine monotonie: tous les forçats avaient 301
été gravement atteints d'une fièvre qu'on appelait parfois la fièvre des hôpitaux et parfois la fièvre des prisons. Barney le Fou avait été le premier à en mourir : c'étaient invariablement les anciens qui partaient les premiers.
Peg avait toujours été maigre, mais maintenant on aurait dit un échalas.
Cora avait vieilli. Même dans la semi-obscurité de la cale, Mack voyait bien qu'elle perdait ses cheveux, qu'elle avait les traits tirés et que son corps jadis voluptueux était décharné et abîmé par les escarres. Mais ils étaient encore en vie.
Un peu plus tard, il entendit un autre sondage: ´ Dix-huit brasses et du sable blanc, ª La fois suivante, c'était treize brasses et des coquillages.
Et puis, enfin, le cri : ´ Terre en vue ! ª
Malgré son état de faiblesse, Mack aurait bien voulu monter sur le pont.
C'est l'Amérique, songeait-il. J'ai fait la traversée jusqu'à l'autre bout du monde et je suis encore en vie : je voudrais bien apercevoir l'Amérique.
Cette nuit-là, le Rosebud jeta l'ancre dans des eaux calmes. Le marin qui apportait aux prisonniers leurs rations de porc salé et d'eau croupie était assez bien disposé à leur
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