Le pays de la liberté
par les fentes de la porte s'éteignit peu à peu. On vint le chercher juste au moment o˘ l'horloge dans la cour de l'écurie sonnait onze heures. Cette fois, ils étaient six hommes : il ne tenta pas de les combattre.
Davy Taggart, le forgeron qui fabriquait les outils des mineurs, passa autour du cou de Mack un collier de fer comme celui de Jimmy Lee. L'ultime humiliation: c'était annoncer au monde qu'il était la propriété d'un autre homme. Il était moins qu'un homme : du bétail.
On lui ôta ses liens et on lui jeta quelques vêtements : une culotte, une chemise de flanelle usée jusqu'à la corde et un gilet en lambeaux. Il s'empressa de les passer mais il avait encore froid. Les gardes lui attachèrent de nouveau les mains et l'installèrent sur un poney.
Ils chevauchèrent jusqu'au puits. L'équipe du mercredi allait commencer son travail dans quelques minutes, à minuit. Le garçon d'écurie harnachait un cheval de rechange pour faire tourner la chaîne des seaux. Mack comprit qu'on allait lui faire le tourniquet.
Il poussa un gémissement. C'était un supplice horrible et humiliant. Il aurait donné sa vie pour une écuelle de porridge bien chaud et quelques minutes devant un feu ardent. Au lieu de cela, il était condamné
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à passer la nuit en plein air. L'envie le prit de tomber à genoux et d'implorer miséricorde, mais l'idée du plaisir qu'en retireraient les Jamisson renforça son orgueil. Il rugit donc: ´Vous n'avez pas le droit de faire ça ! pas le droit ! ª Les gardes lui rirent au nez.
Ils l'installèrent sur la piste boueuse et circulaire autour de laquelle les chevaux de mine trottaient jour et nuit. Il avait envie d'éclater en sanglots, mais il redressa les épaules et releva la tête. On l'attacha au harnais, face au cheval, de façon qu'il ne puisse pas lui échapper. Puis, d'un coup de fouet, le valet d'écurie mit la bête au petit trot.
Mack se mit à courir à reculons. Il trébucha presque aussitôt et le cheval s'arrêta. Le palefrenier lui donna un nouveau coup de fouet et Mack parvint juste à temps à se remettre debout. Peu à peu, il comprit comment il fallait s'y prendre pour courir à reculons. Au bout d'un moment, il devint trop s˚r de lui et glissa sur la boue glacée. Cette fois, le cheval continua d'avancer. Mack glissa d'un côté, se tordant en tous sens pour échapper aux sabots : le cheval le traîna avec lui une seconde ou deux, puis Mack perdit tout contrôle et glissa sous les pattes de l'animal. Le cheval lui piétina le ventre, le frappa à la cuisse, puis s'arrêta.
On obligea Mack à se relever, puis on fouetta de nouveau la bête. Le coup sur le ventre avait fait perdre le souffle à Mack. Sa jambe gauche se dérobait sous lui, mais il était obligé de courir à reculons en boitillant.
Serrant les dents, il essaya de prendre un rythme. Il en avait vu d'autres subir ce ch‚timent : Jimmy Lee, par exemple. Tous avaient survécu, même s'ils en gardaient les marques : Jimmy Lee avait une cicatrice au-dessus de l'úil gauche, là o˘ le cheval lui avait donné un coup de sabot, et la rancúur qui br˚lait chez Jimmy était sans cesse nourrie par le souvenir de cette humiliation. Mack, lui aussi, survivrait. Abruti de douleur, de froid et de honte, il ne pensait à rien d'autre qu'à rester sur ses pieds et à
éviter ces redoutables sabots.
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Le temps passait et il commençait à se sentir une certaine affinité avec le cheval. Ils étaient tous deux harnachés et obligés de tourner en rond.
quand le garçon d'écurie faisait claquer son fouet, Mack allait plus vite.
quand Mack trébuchait, le cheval semblait ralentir un moment l'allure pour lui permettre de reprendre sa course.
Il aperçut les mineurs qui arrivaient à minuit pour commencer leur journée.
Ils gravissaient la colline en discutant et en criant, échangeant entre eux lazzi et plaisanteries comme d'habitude. Puis, en approchant de l'entrée du puits et en apercevant Mack, ils devenaient silencieux. Les gardes brandissaient leurs mousquets d'un air menaçant chaque fois qu'un mineur semblait disposé à s'arrêter. Mack entendit les éclats d'indignation de Jimmy Lee : il vit du coin de l'úil trois ou quatre mineurs l'entourer, le prendre par les bras et le pousser en direction du puits pour lui éviter des ennuis.
Mack peu à peu perdait tout sens du temps. Les porteurs arrivèrent, les femmes et les enfants bavardant en montant la colline puis se taisant, comme les
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