Le pays de la liberté
malgré cela, je suis venu vous en demander d'autres. ª
II y eut un silence. Mack pensa qu'il avait vexé son interlocuteur. Mais là-dessus, Gordonson éclata d'un grand rire. D'une voix plutôt aimable, il dit : Áu fait, qui êtes-vous ?
- Malachi McAsh, dit Mack. J'étais mineur de charbon à Heugh, près d'Edimbourg, jusqu'au jour o˘ vous m'avez écrit pour m'annoncer que j'étais un homme libre. ª
Le visage de Gordonson s'éclaira. ´Vous êtes le mineur épris de liberté !
Donnez-moi votre main, mon vieux. ª
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Mack lui présenta Dermot et Charlie. Éntrez tous. Voulez-vous un verre de vin?ª Ils le suivirent dans une pièce en désordre o˘ se trouvaient un bureau et des rayons pleins de livres. D'autres publications s'entassaient sur le sol et la table était jonchée d'épreuves d'imprimerie. Un gros vieux chien était allongé sur un tapis dépenaillé devant le feu. Il flottait dans la pièce une odeur un peu forte qui devait venir du tapis ou du chien, ou des deux. Mack ôta un livre de droit ouvert sur une chaise et s'assit. ´Je ne prendrai pas de vin, merciª, dit-il. Il voulait garder la tête claire.
Úne tasse de café, peut-être. Le vin vous endort, mais le café vous réveille. ª Sans attendre de réponse, il dit au serviteur : Ćafé pour tout le monde. ª II se tourna vers Mack. ´ Maintenant, McAsh, pourquoi le conseil que je vous ai donné était-il si mauvais ? ª
Mack lui raconta comment il avait quitté Heugh. Dermot et Charlie écoutaient de toutes leurs oreilles : ils n'avaient jamais entendu cette histoire. Gordon-son alluma une pipe et souffla des nuages de fumée de tabac tout en secouant de temps en temps la tête d'un air écúuré. Le café
arriva au moment o˘ Mack terminait son récit.
´Voilà longtemps que je connais les Jamisson: ce sont des gens avides, sans cúur et brutaux, dit Gor-donson avec feu. qu'avez-vous fait quand vous êtes arrivé à Londres ?
- Je suis devenu docker.ª Mack raconta ce qui s'était passé à la taverne du Soleil la veille au soir.
´ Les retenues pour l'alcool sur la paye des dockers sont un scandale qui dure depuis longtempsª, observa Gordonson.
Mack acquiesça. Ón m'a dit que je n'étais pas le premier à protester,
- Certes non. Le Parlement a d'ailleurs voté une loi contre cette pratique voilà dix ans. ª
Mack était stupéfait. Álors, comment se fait-il qu'elle continue?
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- On n'a jamais appliqué la loi.
- Pourquoi donc ?
- Le gouvernement craint une rupture dans k ravitaillement en charbon.
Londres vit sur le charbon. Sans lui, il ne se passe rien ici : on ne cuit pas de pain, on ne brasse pas de bière, on ne souffle pas de verre, on ne fond pas de fer, on ne ferre pas les chevaux, on ne fabrique pas de clous...
- Je comprends, fit Mack en l'interrompant avec impatience. Je ne devrais pas m'étonner que la loi ne fasse rien pour des hommes comme nous.
- Là, fit Gordonson d'un ton quelque peu pédant, vous vous trompez. La loi ne prend aucune décision. Elle n'a pas de volonté propre. C'est comme une arme ou un instrument : elle fonctionne pour ceux qui la prennent en main et qui savent l'utiliser.
- Les riches.
- En général, reconnut Gordonson. Mais elle pourrait fonctionner pour vous aussi.
- Comment? fit Mack, plein d'ardeur.
- Imaginez que vous ayez conçu un autre système d'organisation des équipes pour le déchargement des navires charbonniers. ª
C'était ce que Mack espérait. Će ne serait pas difficile, dit-il. Les hommes pourraient choisir l'un d'entre eux pour être entrepreneur et traiter avec les capitaines de bateau. L'argent serait partagé sitôt reçu.
- Je présume que les dockers préféreraient travailler avec ce nouveau système et être libres de dépenser leur paye comme ils l'entendent.
- Mais oui, dit Mack, en s'efforçant de réprimer l'excitation qui montait en lui. Ils pourraient payer leur bière quand ils la boivent, comme tout le monde. ª Mais Gordonson allait-il mettre son poids du côté des dockers ?
Dans ce cas-là, tout pourrait changer.
Charlie Smith dit d'un ton lugubre: Ón a déjà essayé. «a ne marche pas. ª
Mack se souvint que Charlie était docker depuis 183
des années. ´ Pourquoi est-ce que ça ne marche pas ? demanda-t-il.
- Ce qui se passe, c'est que les entrepreneurs donnent des pots-de-vin aux capitaines des navires pour qu'ils n'emploient pas les nouvelles équipes.
Alors, il y a des problèmes et des bagarres. Et ce sont les
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