Le pays de la liberté
nouvelles équipes qui se font punir parce que les magistrats sont des entrepreneurs eux-mêmes, ou des amis des entrepreneurs... et les dockers retombent dans le vieux système.
- Les imbécilesª, dit Mack.
Charlie eut l'air vexé. ´Je pense que, s'ils étaient malins, ils ne seraient pas dockers. ª
Mack se rendit compte qu'il l'avait pris de haut, mais l'injustice le mettait en fureur. Íls n'ont besoin que d'un peu de détermination et de solidarité, dit-il.
- Il n'y a pas que ça, intervint Gordonson. C'est une question de politique. Je me souviens de la dernière querelle des dockers. Ils ont été
vaincus parce qu'ils n'avaient personne pour les défendre. Les entrepreneurs étaient contre eux et personne n'était pour eux.
- Pourquoi cela serait-il différent cette fois-ci? demanda Mack.
- ¿ cause de John Wilkes. ª
Wilkes était le défenseur de la liberté, mais il était en exil. ÍI ne peut pas faire grand-chose pour nous depuis Paris.
- Il n'est pas à Paris. Il est rentré. ª
«a, c'était une surprise. ´que va-t-il faire?
- Se présenter au Parlement. ª
Mack s'imaginait sans peine les remous que cela allait provoquer dans les milieux politiques de Londres. ´ Mais je ne vois quand même pas en quoi ça nous aide.
- Wilkes prendra le parti des dockers et le gouvernement défendra les entrepreneurs. Une telle querelle, avec des travailleurs visiblement dans leur droit, servirait beaucoup la cause de Wilkes.
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- Comment savez-vous ce que Wilkes va faire ? ª Gordonson eut un grand sourire. ´Je suis son
agent électoral. ª
Gordonson était plus puissant que Mack ne s'en était rendu compte. Voilà
qui était un coup de chance.
Toujours sceptique, Charlie Smith reprit: Álors, vous comptez utiliser les dockers pour faire progresser vos objectifs politiques.
- Vous avez raison de poser la questionª, fit doucement Gordonson. Il reposa sa pipe. ´Mais pourquoi est-ce que je soutiens Wilkes ? Laissez-moi vous expliquer. Vous êtes venus me trouver en vous plaignant d'une injustice. Il y en a trop. Cela nuit au commerce, parce que les mauvaises entreprises sapent les bonnes. Et même si c'était bon pour le commerce, ça ne le serait pas moralement. J'aime mon pays. Je déteste les brutes prêtes à anéantir son peuple et à ruiner sa prospérité. Je passe donc ma vie à rne battre pour la justice. ª II sourit et reprit sa pipe entre ses dents. ´J'espère que ça ne vous semble pas trop pompeux.
- Pas du tout, fit Mack. Je suis heureux que vous soyez de notre bord. ª
16
Jay Jamisson se maria par un jour humide et froid. De sa chambre de Grosvenor Square, il apercevait Hyde Park o˘ bivouaquait son régiment. Une légère brume flottait au ras du sol et les tentes des soldats ressemblaient à des voiles de bateau sur une mer grise et houleuse. «a et là, la fumée qui montait des feux rougeoyants venait l'épaissir encore. Les hommes devaient être déprimés, mais il est vrai que les soldats l'étaient toujours.
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Il détourna son regard de la fenêtre. Chip Marlbo-rough, son garçon d'honneur, présentait à Jay sa nouvelle tunique. Jay la passa en grommelant des remerciements. Chip était capitaine au troisième régiment d'infanterie de la Garde, comme Jay. Son père était Lord Arebury, qui était en relations d'affaires avec le père de Jay. Celui-ci était flatté d'avoir auprès de lui le jour de son mariage un rejeton de la haute aristocratie.
´Tu t'es occupé des chevaux? demanda Jay avec inquiétude.
- Bien s˚rª, fit Chip.
Même si le troisième était un régiment d'infanterie, les officiers étaient toujours montés et Jay avait la responsabilité de superviser les hommes qui s'occupaient des chevaux. Il faisait cela très bien : il comprenait d'instinct les chevaux. Il avait eu deux jours de permission pour son mariage mais il continuait à s'inquiéter à l'idée qu'on ne soignait pas bien les bêtes. Sa permission était de courte durée car le régiment était de service actif. On n'était pas en guerre : le dernier conflit dans lequel l'armée britannique avait combattu, c'était la guerre de Sept Ans en Amérique qui s'était terminée alors que Jay et Chip étaient encore des collégiens. Mais les habitants de Londres étaient si agités, si turbulents, que des troupes étaient toujours en état d'alerte pour réprimer des émeutes. Régulièrement, un groupe d'ouvriers en colère se mettait en grève, marchait sur le Parlement, défilait
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