Le pays de la liberté

n'avons jamais eu de problèmes. ª
    Tallow le foudroya du regard.

    ÍI n'est pas juste, déclara Mack, qu'on force les hommes à boire leur paye, n'est-ce pas ? ª
    Tallow parut piqué au vif. ´Je ne m'en vais pas discuter avec des gens de votre acabit: il n'y a pas de travail pour vous ici, alors décampez. ª
    Mack insista. ´ Mais pourquoi voudriez-vous faire décharger votre bateau en trois jours par une bande d'ivrognes bruyants quand vous pourriez le faire faire plus rapidement par mes hommes ? ª
    Le capitaine, qui ne se laissait manifestement pas intimider par le fils de l'armateur, ajouta: Óui, j'aimerais bien le savoir.
    - Ne vous avisez pas de mettre en doute ce que je vous dis, ni l'un ni l'autre ª, déclara Tallow. Il s'efforçait de se draper dans sa dignité, mais il était un peu trop jeune pour y parvenir.
    Un soupçon traversa l'esprit de Mack. Ést-ce que quelqu'un vous a dit de ne pas engager mon équipe ? ª L'expression qui se peignit sur le visage de Tallow lui dit qu'il avait deviné juste.
    ´Vous ne trouverez personne sur la Tamise qui voudra engager votre équipe, pas plus que celle de Riley ni de Charlie Smith, fit Tallow d'un ton irrité.
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    Le bruit s'est répandu que vous étiez un faiseur d'his toires. ª
    Mack se rendit compte que c'était très sérieux el un frisson glacé le parcourut. Il se doutait bien que tôt ou tard, Lennox et les entrepreneurs interviendraient contre lui, mais il n'avait pas escompté que les armateurs les soutiendraient.
    C'était assez déconcertant. L'ancien système n'étail pas particulièrement favorable aux armateurs. Le conservatisme les pousserait-il à faire cause commune avec les entrepreneurs, sans se soucier d'efficacité ?
    Inutile de manifester de la colère : il s'adressa donc calmement à Tallow.
    ´Je regrette que vous ayez pris cette décision. Je la crois mauvaise pour nous aussi bien que pour vous. J'espère que vous y repenserez et je vous souhaite le bonjour. ª
    Tallow ne répondit pas. Mack se fit reconduire à terre. Il était secoué. Il contempla les eaux brunes et sales de la Tamise. Comment avait-il pu croire qu'il pourrait vaincre un groupe d'hommes aussi riches et aussi impitoyables que les entrepreneurs ? Ils avaient des relations et des appuis. Et lui, qui était-il ? Mack McAsh, de Heugh.
    Il aurait d˚ prévoir cela.
    Il sauta à terre et se rendit au café Saint Luc, qui était devenu son quartier général officieux. Il y avait maintenant cinq équipes qui travaillaient dans le cadre du nouveau système. Le samedi suivant, quand les dockers engagés par les aubergistes toucheraient leur paye lourdement écornée, la plupart d'entre eux changeraient sans doute de camp. Mais le boycott des armateurs allait porter un coup fatal au nouveau régime.
    Le café était proche de l'église Saint Luc.
    Cora était en train de se beurrer une tartine. On était au milieu de l'après-midi, mais elle prenait son petit déjeuner: elle veillait souvent tard dans la nuit. Mack commanda une assiette de rago˚t de mouton et 227
    une chope de bière et alla s'asseoir avec elle. Elle vit qu'il était troublé : ´ qu'est-ce qu'il y a? ª

    II lui expliqua. Tout en parlant, il l'observait. Elle était prête pour le travail: vêtue de la robe orange qu'elle portait la première fois qu'il l'avait rencontrée et évoluant dans un nuage de son parfum épicé. On aurait dit une image de la Vierge Marie, mais il flottait autour d'elle une odeur de harem de sultan. Pas étonnant que des ivrognes avec des pièces d'or dans leur bourse fussent prêts à la suivre dans des ruelles sombres, songea-t-il.
    Il avait passé trois des six dernières nuits avec elle. Elle voulait lui acheter un nouveau manteau. Il voulait qu'elle change de vie. Elle était sa première vraie maîtresse.
    Il terminait son histoire quand Dermot et Charlie arrivèrent. Il avait nourri le vague espoir qu'ils avaient eu plus de chance que lui, mais leur expression parla d'elle-même. Le visage de Charlie était l'image même du découragement et Dermot dit avec son violent accent irlandais : ´ Les armateurs se sont ligués contre nous. Il n'y a pas un capitaine sur le fleuve qui veuille nous donner du travail.
    - La peste les étouffeª, dit Mack.
    Il connut un moment de vertueuse indignation. Tout ce qu'il voulait, c'était travailler dur et gagner assez d'argent pour acheter la liberté de sa súur, mais il trouvait sans cesse dressés contre lui des gens qui avaient