Le petit homme de l'Opéra

tendre épouse Iris refusait tout contact avec la viande, quant à lui, il était loin de raffoler du poisson.
    Euphrosine prit congé de la concierge et vogua vers la rue Jacob. Micheline Ballu balança le contenu d'une bassine dans le caniveau avant d'être happée par la porte cochère du 18 bis. La voie était libre. Joseph traversa sans méfiance, il ne s'attendait pas à être agrafé par un individu au menton glabre, à la moustache en girandole, sanglé d'un costume de serge à rayures.
    — Monsieur Pignot, je suis aise de vous voir. Vous qui êtes fervent d'énigmes, pourriez-vous m'éclairer ?
    Pourquoi moins il y a d'objets exposés en vitrine, plus ils sont coûteux ? Boulevard Saint-Germain, un parfumeur propose quatre flacons – pas cinq, pas six, quatre ! – à des prix extravagants, qu'en...
    — Qu'as-tu besoin de patchouli, Poulot ? Tu t'es entiché d'une nouvelle gourgandine ?
    Poings aux hanches, Micheline Ballu toisait son cousin sans aménité.
    Alphonse Ballu adressa une grimace à Joseph.
    — Je te cause, Alphonse. C'est quoi, ces atours ? Je te rappelle que je t'héberge pour que tu te refasses une santé et que tu me donnes un coup de main, pas pour jouer les gommeux et cavaler après les reines de lavoirs aux défilés de la Mi-Carême !
    — Je suis allé saluer des copains au ministère de la Guerre.
    — Pas trop épuisé ? jeta-t-elle d'un ton sec
    — Ça va, je m'accroche. Ah, l'armée ! La haute époque de ma vie !
    Alphonse Ballu alla résolument s'asseoir à l'entrée de la cour, un ninas aux lèvres, son quotidien sous le bras.
    — C'est-y pas beau la reconnaissance ! Visez c't'arperge ! Traîne-savates et compagnie ! Il a d'la chance d'être mon unique parent. Et vous, m'sieu Pignot, vous devriez être gentil avec vot'maman même si elle a un sale caractère, elle se décarcasse pour vous...
    Joseph étouffa un bâillement.
    — Ça vous endort, c'que j'dis ? Ingrat !
    Micheline Ballu regagna la loge d'un pas de sapeur et en claqua la porte.
    — Et vlan ! s'écria Alphonse. Ah, les bonnes femmes ! Il faut toujours qu'elles moralisent.
    — En tout cas, elle vous soigne aux petits oignons, votre cousine.
    — Oui, la cantine est succulente. Bravo pour votre feuilleton, je n'en rate jamais un épisode. J'aurais une suggestion : inspirez-vous de cette affaire de la Butte-aux-Cailles, ce serait bath !
    Il tendit son journal à Joseph.
    — Je vous le prête, n'oubliez pas de me le rendre, sinon la cousine Mimine elle me carbonise.
    Installé à son bureau, Kenji rédigeait le catalogue des inédits. Il dévisagea son gendre par-dessus ses demi-lunes.
    — Vous avez des yeux de lapin russe. Sommeil perturbé ?
    — Qu'ont-ils tous à se préoccuper de mon sommeil ? grommela Joseph.
    Il passa dans l'arrière-boutique et suspendit redingote et melon à une patère. Au même instant, la sonnette tinta, il identifia le timbre aigu de Mathilde de Flavignol
    — Monsieur Mori, ah, que ce monde est inflexible ! Raphaëlle de Gouveline a été victime d'une syncope à cause du Christophe Colomb des glaces, ce voyageur norvégien, Nansen, reçu en grande pompe à la Société de géographie.
    — Les explorations polaires l'impressionnent à ce point ? s'enquit une voix grave.
    — Monsieur Legris, je suis tellement heureuse de vous trouver enfin !
    Mathilde de Flavignol se rabattit sur Victor sans lui laisser l'opportunité de garer sa bicyclette.
    — Figurez-vous, que, prisonnier de la banquise sur son bateau, le Fram, cet odieux individu a eu la cruauté d'autoriser son équipage à se sustenter des chiens de l'expédition !
    — Madame, dit Kenji, ainsi que l'a déclaré Goethe, « l'homme fourre son nez dans toutes les choses immondes ». Vous désirez un livre ?
    — Auriez-vous Invincible Charme , de Daniel Lesueur, paru chez Lemerre ?
    — Joseph va se renseigner. Joseph ! Joseph !
    — Ah, non ! C'est au-dessus de mes forces ! fulmina Joseph ratatiné à l'abri d'une pile de cartons.
    Il lustra une pomme sur sa manche et parcourut la rubrique des faits divers.
    « Grâce aux rayons X associés à des bobines de Ruhmkorff, de madrés occultistes combinent des supercheries dans l'intention de simuler des apparitions de squelettes. »
    — Les amateurs n'ont qu'à visiter les Catacombes, commenta-t-il.
    « On déplore la mort d'un couple de canards mandarins familiers des promeneurs du bois de Vincennes... »
    — Ils n'ont vraiment rien à se mettre sous la dent, ces reporters,