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Le petit homme de l'Opéra

Le petit homme de l'Opéra

Titel: Le petit homme de l'Opéra Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Claude Izner
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détrôner les Parnassiens ?
    Melchior déglutit avec peine, un nœud se noua au creux de son estomac.
    « Elle est malfaisante, malfaisante ! »
    Il vacilla, se retint au dossier d'une chaise.
    — Vous y croyez ? s'écria Mme de Brix-Réauville, la bouche tordue à la suite d'une hémiplégie. Cette Cassandre m'a anéantie. Des oiseaux mécaniques, des œufs de mort, des ruines ! Mais de quoi parle-t-elle ? De guerre ? De peste ? Le Dr Yersin de l'Institut Pasteur n'a-t-il pas pratiqué avec succès des inoculations salutaires ?
    — Plus de douze mille décès à Bombay recensés de septembre 1896 à février 1897, quelle horreur ! glapit la comtesse de La Bigne.
    — Aucune raison de s'affoler, la rassura le colonel de Réauville, nous sommes armés pour enrayer l'épidémie si elle touche la vieille Europe, le gouvernement a pris des mesures drastiques. Il existe rue Dutot assez de vaccins pour stopper dans son essor le fléau indien.
    — Exact, approuva Gaston Méry, c'est l'opinion des médecins autorisés et des spécialistes de l'Institut Pasteur. Quant à la guerre, tôt ou tard il faudra s'y résoudre si nous voulons reconquérir l'Alsace et la Lorraine.
    Melchior dévala les étages et atterrit rue La Boétie. Il avançait au hasard, sans prêter attention au chantier de démolition cerné de palissades. Il avait le larynx serré au point d'en avoir mal. Affalé sur un banc, il respirait difficilement. Un voile rouge le coupa de la réalité.
    Le feu gagnait de vitesse, ils étaient perdus ! Les portes s'embrasèrent. Une femme raconta qu'elle avait distingué une monstrueuse créature bicéphale s'écrouler sur la chaussée, on eût juré un ballot de vêtements animé de mouvements saccadés. Une enfant en émergea et se tint debout, hébétée. S'ensuivit un vent de panique. La femme déclara après qu'elle avait sans doute eu une hallucination due à l'émotion, car l'enfant et la créature demeurèrent introuvables.
    La corne d'avertissement d'une automobile fit voler le passé en éclats. Melchior ressentit une violente douleur gastrique, signe qu'il avait repris contact avec cette journée d'avril 1897. Il était trempé. Une giboulée avait crevé sur la ville, une de ces averses qui rendent aux pavés les coloris bleus ou violets de leurs carrières d'origine. Un pâle soleil allumait les clôtures derrière lesquelles se profilait la masse du Palais de l'industrie voué à la destruction. Bientôt s'élèveraient à sa place deux édifices monumentaux, fleurons de la future Exposition universelle de 1900. En ces prémices de printemps, quelques chapeaux de paille ou de taffetas fleurissaient les impériales des omnibus. Capotes baissées, des calèches envahissaient les allées des Champs-Élysées.
    Un rentier à gibus marmotta à son imposante moitié :
    — ... n'ont pas l'heur d'être invités à la réception du comte de Castellane en l'honneur de son admission au cercle de la rue Royale...
    « Je suis seul, ô mon Tout-Puissant. Rejeté, maudit ! Mais je te promets de défier Belzébuth en personne afin d'échapper à cette humiliante condition ! »
    Pour Melchior, les fiacres incarnaient l'aventure. Il héla un cocher qui n'accepta qu'à contrecœur de charger ce farfadet.
    Le front collé à la vitre, le petit homme chassa ses angoisses ravivées par les prophéties de la voyante. S'assoupir était trop agréable pour qu'il se laissât aller à des revenez-y. Ni remords ni reproches, rien que le bonheur de jouir du trajet.
    — Mon salut, ma rédemption, tu ignores mon existence, si tu savais... murmura-t-il. Ce que j'ai vu et entendu est un message du ciel, je vais continuer à veiller sur toi sans que tu t'en doutes et recevoir enfin la sérénité qui m'est due.
     
    À l'angle du quai Malaquais et de la rue des Saints-Pères, un camelot s'égosillait :
    — Demandez le plan de Paris et de Versailles, un franc ! Monsieur, un plan de Paris ?
    Joseph changea de trottoir. Il eut ainsi le loisir de guigner à distance Micheline Ballu en conversation avec Euphrosine empêtrée de cabas débordant de légumes. De son ancien métier de marchande de quatre-saisons, elle avait conservé sa passion des poireaux, des cardons, des blettes et des carottes, alors que son fils se fût régalé de pommes de terre à chaque repas.
    « Encore des épinards ! Je vais avoir les boyaux en détresse ! »
    Mais comment en vouloir à sa mère de suer sang et eau pour nourrir correctement sa famille ? Sa

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