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Le petit homme de l'Opéra

Le petit homme de l'Opéra

Titel: Le petit homme de l'Opéra Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Claude Izner
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joueur de crincrin. On décide quoi ?
    — Nous décrochons.
    — Je n'en crois pas mes oreilles !
    — J'ai promis à Tasha de ne jamais récidiver. Ce jeu est périlleux... Vous aussi d'ailleurs, vous avez promis à Iris. Et puis je veux consacrer mon temps libre à un reportage sur les forains.
    — Ah, bravo ! Avec ce genre de sujet vous êtes sûr d'être exposé !
    — Je me contrefiche des médailles d'honneur. Immortaliser la poésie de la rue m'importe davantage. Je me moque que le public soit désorienté par la vue de la réalité contemporaine. Tant pis si l'on ne me considère pas comme un artiste, je veux fixer les aspects des activités humaines dont la disparition n'est plus qu'une question de temps.
    — Alors, c'est non ? Mais ça vous engage à quoi ? Qu'est-ce qu'on risque ? Tenez, je suis bon prince, je vous laisse la primeur. Allez donc tirer les vers du nez de votre tentatrice Eudoxie Maximova, ensuite je me débrouillerai seul.

CHAPITRE VIII
    Lundi 5 avril
     
    Besogne délicate que de raviver chaque matin une beauté fripée par le sommeil : traquer les imperfections de la peau, dompter les cheveux, gommer les cernes, rosir les pommettes. Se revêtir d'une véritable cotte de mailles dont les fleurons essentiels étaient le corset, les jupons, le chapeau et les bottines. Ne pas oublier le parfum, les gants et l'éventail.
    Eudoxie Maximova s'était levée au point du jour afin d'infliger à son galbe une succession de supplices qui l'auraient révoltée si un tortionnaire les lui eût imposés. Aux baleines qui arrondissaient les formes elle préférait celles qui les niaient. Se sangler d'une cuirasse qui la changeait en androgyne était sa manière de repousser les assauts de l'âge. Ainsi espérait-elle amener à résipiscence Kenji Mori, dont le détachement actuel démentait la flamme qu'elle avait suscitée jadis. Qu'il existât un mouton noir dans le troupeau de mâles bêlant autour d'elle lui était insupportable. La vérité qu'elle n'osait affronter, c'était que celui qui lui disait non depuis des mois occupait désormais son cœur. Vite, lui téléphoner et devancer la pluie menaçant de ruiner ce tour de force vestimentaire !
    Inconscient de ces efforts, Kenji, en fixe-chaussettes et caleçon long, manipulait la clé d'un appareil rectangulaire en bois poli. Après un dimanche et une nuit d'amour, il avait décidé que l'habillage de Djina se ferait en musique. Il offrit en pâture au gramophone un cylindre qu'il avait extrait d'une boîte en contenant quatre autres. Dès qu'il eut actionné le mécanisme, la voix de crécelle d'une prima donna s'écoula d'un pavillon de métal. L'opéra bouffe Cosi fan tutte incita Mozart, dont le génie n'eût pu prévoir une telle cohabitation, à rythmer les ondulations de Djina, noyée dans ses dessous crémeux.
    Une sonnerie insistante provoqua l'interruption de Cosi fan tutte , Kenji se rua sur le téléphone. La conversation, inaudible, ne dura que quelques secondes, puis il rallia la chambre et enfila en maugréant chemise, gilet, complet et souliers à boutons.
    — Un client ? s'enquit Djina.
    — Précisément, quel toupet, je suis tout miel, mais il va comprendre qu'on ne me dérange pas impunément, ce lascar ! Commencez à déjeuner, mon amie, je vous rejoins.
    Il prit soin de clore la porte séparant l'ancien appartement de Victor de l'escalier à vis.
    Une violente averse fouetta la chaussée alors qu'Eudoxie s'engouffrait dans la librairie.
    — Désolée de vous réveiller, mon mikado, je redoutais de t'importuner, c'est pourquoi j'ai tenu à t'appeler avant de frapper chez toi.
    — Je ne suis pas seul, chuchota Kenji.
    Les yeux au plafond, la visiteuse suivait les pas légers attestant la présence d'une femme à l'étage. Les paupières gonflées, le nœud papillon de travers, le maître des lieux croisait les doigts de sa main gauche plaquée au dos. Pitié, pas de collision frontale entre Djina et son ex-maîtresse ! Son estomac protestait de cette intrusion qui le privait de la plus élémentaire des provendes, une tasse de thé vert, une biscotte, même non beurrée.
    — Étiez-vous obligée de vous précipiter ici aux aurores ?
    — Je tenais à vous informer de mon absence. J'emmène cette pauvre Olga en villégiature sur la Riviera, elle continue à souffrir de haut-le-cœur et le docteur préconise un repos absolu, de tels vomissements sont trop...
    — Épargnez-moi les détails, je vous en conjure. Son état

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