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Le petit homme de l'Opéra

Le petit homme de l'Opéra

Titel: Le petit homme de l'Opéra Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Claude Izner
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est-il grave ? L'influenza ? ajouta Kenji avec une sollicitude exagérée.
    — M. Legris ne vous a pas renseigné ? C'est étonnant, nous nous sommes entretenus au concert des Catacombes, vendredi soir. Il était en compagnie de M. Pignot. La santé d'Olga s'améliore, néanmoins la convalescence sera longue, d'où l'idée de ce séjour à Nice. Si tu savais comme je suis peinée de m'éloigner ! Je me languis d'avance de toi, mon mikado.
    — Quand partez-vous ? murmura Kenji, de plus en plus inquiet d'être surpris par Djina.
    — Le train est à onze heures. Ce sera un arrachement, seules, sans proche agitant un mouchoir. Je suis vouée à l'exil, d'abord la Russie, ensuite le sud de la France !
    — Un exil paradisiaque, ma chère. D'ailleurs, je suis certain que vous sous-estimez le zèle de vos chevaliers servants. Le quai sera bondé d'une nuée de mâles prêts à se jeter sur les rails pour vous retenir !
    — Moquez-vous, cruel...
    Elle rajusta son toquet en tissu pailleté brodé d'or et recouvrit d'une cape de lainage gris-bleu la robe en taffetas qui accentuait la rondeur de ses seins. Kenji se contraignit à la froideur et la poussa presque dehors. Il était temps de se gendarmer contre la tentation.
    Lorsqu'il remonta, Mélie Bellac s'était introduite dans la cuisine via l'immeuble du 18 bis et recopiait la liste des commissions fournie par Djina.
    — Mélanger le roquefort avec du beurre, ma mère considérait cette mixture pire qu'une hérésie. Êtes-vous sûre de vouloir amalgamer le lait de la vache à celui de la brebis ?
    — Résolution du matin, chagrin. Je ne serai sûr de moi qu'à partir de dix heures, marmotta Kenji, soulagé du départ imminent de Djina pour la rue des Dunes où l'attendaient les élèves de ses leçons d'aquarelle.
    « Les fourbes, les sournois, ils sont machiavéliques, mes associés ! Et le duc de Frioul s'est fait leur complice ! Ils me prennent pour un imbécile ? Les Catacombes ! »
    Il fignola sa toilette, s'y reprit à trois fois pour agrafer son col cassé et descendit ouvrir la boutique où son gendre n'arriverait qu'en fin de matinée. Le premier à le tarabuster fut un client à qui sa mine figée en une moue permanente avait valu la dénomination d'« Homme qui rit ».
    — Votre Voyage du jeune Anacharsis 20 dépouillé de son atlas, me le vendriez-vous à moitié prix ? Convenez-en, vous en faites des confitures, de ce rossignol, constata l'« Homme qui rit ». Vous l'avez boulotté, ce jeune Anacharsis, ou renâclez-vous à me le céder à sa juste valeur ?
    Kenji se projeta mentalement sur un atoll du Pacifique où aucun libraire sensé n'aurait eu le dessein de se dédier au négoce.
     
    Daphné avait inventé un jeu. Le berceau du futur bébé constituait une grotte où se tapissait un ours. Dès qu'il pointait le museau hors de son antre, elle le pilonnait de jouets. Gavé de projectiles, le berceau évoquait la caverne d'Ali-Baba. Bien malin le plantigrade qui vaincrait ce barrage ! Il fallait en profiter. Sous peu, un indésirable exigerait la place. « Pas question de le bombarder ! » lui ressassaient les grandes personnes en roulant de gros yeux. Daphné trépignait en son for intérieur. Étaient-ils stupides pour supposer qu'elle ignorait la fragilité d'un nourrisson et les mœurs des ursidés ? Quand sa sœur ou son frère serait là, l'ours, terrorisé par ses hurlements, irait se terrer sous le lit où se dissimulait déjà une famille de grizzlis.
    Tandis qu'Euphrosine, confrontée à la préparation d'une blanquette sans viande, s'ingéniait à transmuer le veau en cabillaud nappé de sauce blanche, Iris, encore au lit, rongeait son crayon. Elle avait renoncé à confectionner une vingt-troisième brassière et, la nuque appuyée contre une montagne de coussins, contemplait le cahier où elle envisageait d'écrire un nouveau conte. Mais l'inspiration la fuyait. La faute en était à ce ventre distendu agité de soubresauts. Un tic-tac régulier grignotait le silence, ponctué d'un heurt de casseroles. Iris avisa la montre à gousset que Joseph avait oubliée sur la table de chevet. Aussitôt, sans qu'elle l'eût convoquée, une forêt d'horloges se dessina en elle et se fragmenta en personnages grotesques munis de longs bras. Leurs têtes rondes en forme de cadrans, dotées d'yeux et de bouches, proféraient des conseils.
    — Plus une minute à perdre ! Le temps c'est de l'argent !
    — C'est l'heure, l'heure de se lever, l'heure de

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