Le Peuple et le Roi
l’ordure aspergent les hommes et les chevaux.
Et puis l’averse, furieuse, balayant de ses rafales les
armées.
« Hier schlagen wir nicht. »
« Ici nous ne les battrons pas », dit Brunswick, et
il donne l’ordre de la retraite.
Dans les heures qui suivent, un volontaire écrit du camp de
Sainte-Menehould à sa « promise » :
« Tâche de déchiffrer ma lettre comme tu pourras. Je t’écris
par terre et avec un fétu de paille. Nous couchons sur terre comme des rats, il
n’y fait ni chaud ni bon, malgré cela, ça ira, ça ira, ça ira… »
À quelques lieues de là, sous une tente prussienne, Gœthe
fait face à des officiers qui l’interrogent sur le sens de cette canonnade, où
il n’y a pas eu de heurts entre les deux armées, mais un duel d’artillerie, et
l’« armée d’avocats » ajustait bien ses coups.
« Nous avons perdu plus d’une bataille, dit l’un des
officiers, nous avons perdu notre renommée. »
Il y a un long silence.
Puis Gœthe dit :
« D’ici et de ce jour, commence une ère nouvelle dans l’histoire
du monde. »
Ce jeudi 20 septembre 1792, vers cinq heures et demie du
soir, alors qu’à Valmy, les canons cessent de tirer, les trois cent soixante et
onze députés de la Convention présents à Paris, sur les sept cent quarante-neuf
élus, se réunissent pour la première fois aux Tuileries.
Ils vérifient leurs pouvoirs.
Ils nomment leur bureau, choisissent Pétion, maire de Paris,
élu député à Chartres, comme président.
La séance qui n’a pas été publique est levée à une heure du
matin.
Quelques sans-culottes, armés de leurs piques, les attendent
rue Saint-Honoré. Ils crient : « Vive la nation ! », « À
bas le gros cochon ! »
Et d’une voix forte, dominant toutes les autres, quelqu’un
lance :
« Il reste une prison à vider. »
SEPTIÈME PARTIE
Octobre
1792-22 janvier 1793
« Cet homme doit
régner ou mourir »
« On s’étonnera un jour qu’au XVIII e siècle on ait été moins avancé que du temps de César : là le tyran fut
immolé en plein Sénat, sans autres formalités que vingt-trois coups de poignard,
et sans autre loi que la liberté de Rome. Et aujourd’hui on fait avec respect
le procès d’un homme assassin d’un Peuple, pris en flagrant délit, la main dans
le sang, la main dans le crime !…
On ne peut régner innocemment : la folie
en est trop évidente. Tout roi est un rebelle et un usurpateur. »
Saint-Just
Discours sur le jugement de Louis XVI
prononcé à la Convention nationale
le 13 novembre 1792
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Cette prison qui « reste à vider », c’est le
donjon du Temple.
À plusieurs reprises durant ce mois de septembre, des
groupes de sans-culottes sont venus hurler leur haine du « gros cochon »,
de la « putain ».
Ils ont tenté de forcer les portes percées dans le nouveau
mur d’enceinte que la Commune a fait construire autour du donjon.
Souvent aussi des geôliers, qui surveillent chaque geste de
Louis, de sa sœur Élisabeth, de Marie-Antoinette et de ses deux enfants, Madame
Royale âgée de quatorze ans, et le dauphin Louis qui a à peine sept ans, ont
couvert le roi d’injures, l’ont menacé. Ils lui ont rappelé le sort de l’amie
de la reine, la princesse de Lamballe, dont les assassins ont promené la tête
tranchée autour du donjon, et abandonné le corps mutilé au pied des murs.
« Le roi de Prusse marche sur Châlons, a-t-on crié à
Louis. Vous répondrez à tout le mal qui peut en résulter. Nous savons que nous,
nos femmes, nos enfants périrons, mais le peuple sera vengé, vous mourrez avant
nous. »
Le roi fait face, interrompt le sans-culotte.
« J’ai tout fait pour le peuple, je n’ai rien à me
reprocher. »
Il parle d’une voix calme et forte. Il dit à Cléry, le valet
de chambre qui, dévoué, a voulu rester au Temple et continue de servir la
famille royale :
« J’exige de votre zèle de ne rien me cacher. Vous ne
pouvez me donner une plus grande preuve d’attachement. Je m’attends à tout. »
Des travaux ont été entrepris dans la grande tour du Temple,
sans doute va-t-on y installer les prisonniers, isoler Louis de sa famille.
« Tâchez de savoir le jour de cette pénible séparation,
dit-il à Cléry, et de m’en instruire. »
Sa seule consolation pourtant, dans cette prison, consiste à
voir les siens, à enseigner à ses enfants, à jouer au tric-trac avec
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