Le Peuple et le Roi
l’on
distribue le pain avec la plus grande parcimonie. Ce pain est en général
noirâtre, terreux, amer, donne des inflammations de la gorge et cause des
douleurs d’entrailles », écrit un témoin.
Les autorités ne peuvent maîtriser la situation.
Les convois de grain sont attaqués par des bandes menées par
des femmes, qui sont en tête de toutes ces manifestations qui tournent au
pillage, au saccage des maisons des riches, des châteaux ou même des couvents
soupçonnés de receler du grain.
Necker avoue qu’il est terrorisé chaque nuit à l’idée – un
cauchemar – que Paris pourrait manquer de pain pendant vingt-quatre heures. Et
il imagine ce qui peut se produire, alors même que les troupes chargées de
maintenir l’ordre sont elles-mêmes mal nourries.
Le pain manque aussi aux soldats, et il est aussi terreux
que celui vendu si cher dans les boulangeries.
Necker ne cache pas au roi, au vu des dépêches qu’il reçoit
des intendants et des subdélégués qui les assistent, « qu’il n’y a plus d’obéissance
nulle part, et qu’on n’est pas même sûr des troupes ».
Les villageois forcent, ici et là, les laboureurs et les
fermiers qui ont apporté des grains au marché à les vendre à bas prix.
Toutes les provinces du royaume sont touchées par cette
épidémie de révolte. La Bretagne, la Normandie, le Languedoc, la Provence.
« Je renouvelle à Monsieur Necker, écrit le commandant
militaire des provinces du centre, un tableau de l’affreuse situation de la
Touraine et de l’Orléanais. Chaque lettre que je reçois de ces deux provinces
est le détail de trois ou quatre émeutes à grand-peine contenues par les
troupes et la maréchaussée. »
Des villes créent des « milices bourgeoises » pour
tenter de protéger marchés, boutiques, demeures des représentants de l’autorité.
Personne n’échappe à cette colère accumulée, comme si la
révolte était devenue universelle, comme l’avait été durant des siècles la
résignation.
À Manosque, l’évêque qui visite le séminaire est accusé de
favoriser un accapareur.
On le lapide. On lui crie :
« Nous sommes pauvres, vous êtes riche, nous voulons
tout votre bien. »
Dans certaines localités, on installe une municipalité « insurrectionnelle »,
qui met à contribution tous les gens aisés.
C’est la faim, la disette, la peur de la famine qui sont la « poudre »
de ces explosions, mais l’étincelle est politique.
La convocation des États généraux, le doublement du nombre
des députés du tiers état, semblent ouvrir enfin devant les « infortunés »
une brèche, dans laquelle ils ont le sentiment que le roi les invite à s’engouffrer.
On pille, on saccage les boulangeries, les domiciles des « riches »,
des « gros », au cri de « Vive la Liberté ! Vive le Roi ! ».
Avec effroi, Louis prend conscience de cette situation, dont
la reine, le comte d’Artois, les aristocrates affirment qu’elle est provoquée
par cette concession faite aux revendications du tiers état, à ce droit de vote
quasi universel institué pour la désignation des représentants aux États
généraux.
Ils critiquent ces assemblées électorales, où tout le monde
intervient, où l’on adopte des « cahiers de doléances », dont les
modèles sont écrits à Paris, dans les clubs.
Et c’est bien le roi qui a accepté ce débat national. Et, tête
baissée, Louis doit reconnaître que le règlement fixant les conditions de la
campagne pour les États généraux, publié le 24 janvier, outre qu’il fixe à
vingt-cinq ans l’âge auquel on peut voter, précise :
« Sa Majesté a désiré que des extrémités de son royaume
et des habitations les moins connues chacun fût assuré de faire parvenir jusqu’à
Elle ses vœux et ses réclamations. »
Et, voici que les sujets qui ne se rebellaient que par
saccades, séparées les unes des autres dans l’espace et le temps, s’emparent
dans un mouvement d’ensemble de la parole.
La campagne pour les élections aux États généraux unifie la
révolte en même temps que le royaume.
Et l’idée prévaut que le roi lui-même justifie cette révolte.
Louis s’en inquiète.
Les mots qu’il a laissé prononcer par Necker, ceux qu’il a
approuvés en organisant les élections, se sont transformés en pierres lancées
contre les privilégiés et donc aussi contre lui.
Necker avait dit :
« Le vœu du tiers
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