Le Peuple et le Roi
celui des patriotes.
« On leur paie des glaces, du vin. On les débauche à la
barbe de leurs officiers. »
Que faire, s’interroge Louis, quand on ne dispose plus de la
force ?
Quand l’Assemblée du tiers, cette Assemblée qui se veut
nationale, délibère de l’aveu même de Bailly, son doyen, sous la surveillance
de plus de 600 « spectateurs » qui votent les motions comme des élus,
applaudissent, contestent, menacent les quelques rares députés du tiers qui n’ont
pas rallié la majorité. Leurs noms sont relevés et la foule les attend à la
sortie de la salle.
Que faire ?
Ce 9 juin, Louis ne se prononce pas sur les propositions de
Necker.
Mais l’abîme est là devant lui, qui l’effraie et le fascine.
Il apprend que le clergé, par cent quarante-neuf voix contre
cent trente-sept, a décidé de rallier le tiers état.
Certains prélats ont donc rejoint les curés qui, avaient-ils
dit, « précédés du flambeau de la raison, conduits par l’amour du bien
public et le cri de notre conscience, venons nous placer avec nos concitoyens
et nos frères ».
Les députés du tiers et ceux du clergé se sont embrassés en
pleurant, et la foule crie « Vive les bons évêques ! ».
L’ordre de la noblesse, au contraire, maintient son refus de
la réunion.
Les princes du sang royal, la reine, les frères du roi ne
cessent de l’inciter à défendre « sa » noblesse qui lui reste fidèle.
Louis voit ce gouffre devant lui, où tout son monde peut s’engloutir.
Il entend ses proches, au Conseil royal du 20 juin, dire que
les réformes de Necker vont « ébranler les lois fondamentales de l’État ».
La reine insiste pour que le roi mette fin à cette « révolte ».
Et Louis en convient. Il ne peut pas accepter que la
monarchie dont il a hérité sombre.
Qu’on agisse, murmure-t-il, qu’on fasse un premier pas, qu’on
donne un signe. Et il ajoute qu’il faut être mesuré et sage.
Il a choisi de faire fermer la grande salle commune aux
États généraux où se réunissent les députés du tiers.
Il attend, angoissé, leurs réactions.
Ils trouvent les portes closes, puisque, leur dit-on, les
huissiers doivent aménager la salle, pour une séance générale – séance royale
pour les trois ordres – prévue pour le 23 juin.
On a, autour du roi, où tout le monde est pour la fermeté et
pour la noblesse, critiqué à mots couverts cette mesure équivoque, qui n’ose
pas s’avouer pour ce qu’elle est, une tentative d’empêcher l’Assemblée
nationale de délibérer.
Le désarroi est grand parmi les députés.
Ils n’osent forcer les portes.
L’un d’eux crie : « Au jeu de paume. »
La salle est proche. On l’occupe. On entoure Bailly. Sieyès
propose de se transporter à Paris. L’émotion est extrême ; le roi, dit-on,
prépare un coup d’État contre l’Assemblée.
Il faut avertir le peuple, lancent certains.
Mounier, le député de Grenoble, invite à prêter serment « de
ne jamais se séparer et de se rassembler partout où les circonstances l’exigeraient,
jusqu’à ce que la Constitution fût établie et affermie sur des fondements
solides ».
Dans la salle, c’est l’enthousiasme. On acclame Bailly. On
prête serment. On signe à l’unanimité moins une voix, celle du député Martin d’Auch.
On le dénonce au peuple, « attroupé à l’entrée de la
salle, et il est obligé de se sauver par une porte dérobée pour éviter d’être
mis en pièces ».
Les députés se dispersent dans Versailles, répandent la
nouvelle du « coup d’État royal » et du « serment du Jeu de
paume ». On les acclame. On se rend à Paris au Palais-Royal.
On insulte les aristocrates, la reine et les princes.
Devant Louis, l’abîme s’est élargi et creusé.
Ses frères et la reine, le garde des Sceaux répètent qu’on
ne peut reculer, qu’il faut relever le défi lancé par les députés du tiers état.
Le comte d’Artois fera fermer, demain, la salle du Jeu de
paume, au prétexte qu’il doit y jouer sa partie.
Et Louis, d’une voix sourde, annonce au Conseil royal du 21
juin qu’il rejette le plan proposé par Necker, et que la séance royale se
tiendra le 23 juin.
Il se redresse, dit fermement qu’elle sera un lit de justice,
et qu’il imposera sa volonté.
Et l’inquiétude qui le tenaille est plus douloureuse encore.
Il apprend le 22 juin que l’Assemblée s’est réunie à
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