Le Peuple et le Roi
que le 17 juin, sur la proposition de l’abbé Sieyès, les
Communes du tiers état se constituent en Assemblée nationale.
Cette Assemblée nationale vota aussitôt un décret, assurant provisoirement la perception des impôts et le service de la dette publique.
Provisoirement : c’est-à-dire que l’Assemblée
menace d’une « grève des impôts », si le roi et les ordres
privilégiés refusent de reconnaître cette Assemblée nationale.
Provisoirement : jusqu’à ce que l’Assemblée
nationale ait élaboré une Constitution.
Chaque député du tiers se sent porté par cette houle qui
balaie le pays.
« Le tiers a pour lui le droit et la force des choses »,
dit l’abbé Sieyès.
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« Assemblée nationale ».
Louis répète ces mots, relit ces récits, ces pamphlets qu’on
pose devant lui, et il a l’impression d’être saisi par le vertige comme s’il se
trouvait au bord d’un abîme, qu’il était prêt à y être précipité, et il ne peut
s’empêcher d’osciller, d’avant en arrière, comme si son corps voulait exprimer
l’hésitation et en même temps la frayeur qui ont fondu sur lui.
Les députés du tiers, ces roturiers, ont osé le défier, alors
qu’ils n’existent que par lui, qui a bien voulu organiser les élections, réu nir les États généraux.
Ses frères, la reine, les princes du sang, les aristocrates,
ceux que le peuple appelle les aristocranes , exigent qu’on brise ces
rebelles, qu’on dissolve même les États généraux.
Le garde des Sceaux Barentin insiste pour que le roi oblige
le tiers état à se soumettre :
« Pourquoi tant de complaisance, tant de considération ?
dit Barentin au Conseil royal réuni le 19 juin. Il faut du nerf et du caractère,
ne pas sévir c’est dégrader la dignité du trône, opposer la modération à l’injure,
la faiblesse à la violence, c’est autoriser la violence. »
Louis partage ce sentiment, mais il écoute Necker, qui
propose un plan de réformes : le vote par tête, l’égalité devant l’impôt, l’admissibilité
de tous les Français aux fonctions publiques, la création d’une Chambre haute, le
pouvoir exécutif confié au roi avec droit de veto…
C’est capituler, disent les frères du roi, la reine, le
garde des Sceaux.
Louis se tait.
Ont-ils tous oublié que l’ancien garde des Sceaux Lamoignon
s’est brûlé la cervelle dans le parc de sa demeure ?
Ne savent-ils pas que dans les rues de Versailles, des
bandes venues de Paris pourchassent les députés de la noblesse et du clergé
hostiles à la « réunion » avec ceux du tiers ?
L’archevêque de Paris a été poursuivi à coups de pierres. On
lui a jeté de la boue, on a injurié l’abbé Maury. On les a insultés en les
qualifiant d ’aristocranes .
À Paris, au Palais-Royal, un orateur a proposé de « brûler
la maison de Monsieur d’Esprémesnil, sa femme, ses enfants, son mobilier et sa
personne », parce qu’il est hostile à la réunion avec le tiers.
La foule a piétiné, battu, fouetté, tous ceux qui osaient ne
pas crier « Vive le tiers état ! », « Vive l’Assemblée
nationale ! ».
Une femme qui a proféré des « injures au buste de
Necker, a été troussée, frappée jusqu’au sang par les poissardes », dit un
espion de police.
On s’en prend aux « uniformes suspects ». Dès que
paraît un hussard, on crie : « Voilà Polichinelle, et les tailleurs
de pierre le lapident. Hier au soir, deux officiers de hussards, MM. de Sombreuil
et de Polignac sont venus au Palais-Royal, on leur a jeté des chaises, et ils
auraient été assommés, s’ils n’avaient pris la fuite… »
Et lorsqu’un espion de police a été démasqué : « On
l’a baigné dans le bassin, on l’a forcé comme on force un cerf, on l’a harassé,
on lui jetait des pierres, on lui donnait des coups de canne, on lui a mis un
œil hors de l’orbite, enfin malgré ses prières et qu’il criait merci on l’a
jeté une seconde fois dans le bassin. Son supplice a duré depuis midi jusqu’à
cinq heures et demie et il y avait bien dix mille bourreaux. »
Parmi cette foule, des gardes françaises, qu’on entoure, qui
crient « Vive le tiers état ! ».
« Tous les patriotes s’accrochent à eux. »
Ils ont quitté leurs casernes bien qu’ils y aient été
consignés. Le Palais-Royal est un lieu qu’ils ont l’habitude de fréquenter. C’est
le rendez-vous des filles, et maintenant
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