Le piège de Dante
que le troisième étage, ainsi que la libre utilisation de la terrasse, avaient été négociés à l’automne précédent par un homme qui se disait habitant de Florence en visite à Venise. Il s’était fait appeler Messer Sino. M. Sino... Une anagramme de Minos, comme le nota aussitôt Pietro, blasé. La Lonati conduisit Viravolta et deux agents au troisième étage, tandis que les autres épluchaient ses registres. Ils arrivèrent devant de grandes portes claires. La plupart du temps, les appartements étaient vides. Elle avait vu une fois le mystérieux locataire recevoir des hommes habillés de masques de carnaval et de tricornes. Ils avaient acheminé ici de nombreuses caisses de bois, que Lucrèzia avait prises pour les bagages de ce M. Sino. Il devait être un personnage en vue à Florence; elle n’avait pas posé de questions. Ces hommes, selon elle, étaient restés là une journée entière, avant de disparaître. Elle s’était certes demandé qui pouvaient bien être ces drôles de laquais, mais l’autre payait abondamment, et rubis sur l’ongle. De quoi décourager sa curiosité. L'occupant n’était ensuite revenu que très épisodiquement, accompagné chaque fois de personnages tout aussi énigmatiques. Leur description, qui correspondait à des physiques tout à fait ordinaires, ne donnait aux agents du gouvernement que des informations bien minces.
La Lonati savait que, pour l’heure, personne ne se trouvait à l’intérieur des appartements. Elle frappa tout de même à tout hasard, puis glissa son passe dans la serrure.
Pietro et les deux agents entrèrent dans un endroit au luxe familier, qui s’étendait sur quatre pièces de dimensions égales. Ils portèrent assez vite leur attention sur la deuxième. Landretto, qui en avait assez de faire le pied de grue partout où se rendait son maître, alla retrouver Viravolta alors que celui-ci commençait ses investigations. Ils furent bientôt rejoints par le reste de la troupe. Il n’était pas un pouce de ces appartements qui ne donnât lieu à des recherches méticuleuses.
Allez. Je commence à en avoir assez de patauger.
La pièce qui avait retenu l’attention de Pietro était confortablement meublée. Trois fauteuils se trouvaient disposés sur un soyeux tapis d’Orient; l’un des murs était occupé par une petite bibliothèque où figuraient quelques ouvrages sans intérêt – que l’on prit soin, pourtant, de regarder page après page, avant de les secouer dans tous les sens. Sur le mur opposé se trouvait placardée une carte détaillée de Venise : la Lonati affirma qu’elle ne s’y trouvait pas auparavant. Elle n’avait pas fait la chambre depuis plusieurs semaines, à la demande expresse du locataire. Ses employées de ménage ne s’en étaient trouvées que mieux. Lucrèzia avait une fois de plus fermé les yeux devant le pécule abondant que l’on avait déversé dans son escarcelle. Une pellicule de poussière traînait sur le sol et sur les meubles. Dans la pièce voisine, on avait entreposé les caisses amenées par les « laquais » inconnus. Toutes étaient vides à présent. Mais surtout, près des grandes fenêtres qui donnaient sur la rue, et au-delà sur les Procuratie et la place Saint-Marc, à côté d’une mappemonde, se trouvaient de bien curieux instruments. On découvrait tout d’abord de petits cercueils miniatures taillés dans un bois noir, de deux pouces de long. Chacun d’eux était frappé d’une croix, et un nom s’y trouvait gravé.
Marcello Torretone.
Cosimo Caffelli.
Federico Spadetti.
Luciana Saliestri.
Viravolta étouffa un cri de stupeur. Ici étaient répertoriés les quatre premiers meurtres... Mais naturellement, l’ennemi n’avait pas eu le bon goût d’annoncer les suivants.
Et, à quelques pas de là, étaient dressés une demi-douzaine d’engins tout à fait particuliers.
L'Orchidée Noire se pencha.
— Voilà sans doute ce qui se trouvait dans les caisses, dit-il à l’adresse de Landretto. Intéressant... Très intéressant.
Il s’agissait de télescopes, montés sur pied, tous dirigés vers l’embrasure de la fenêtre. Le valet s’approcha de l’un d’eux et glissa un oeil à l’intérieur. Il ne vit que le mur d’en face, en gros plan.
— On n’y voit rien ! dit-il avant d’essuyer la lunette et de reprendre place devant l’orifice.
Pietro l’imita ; tous deux essayèrent de changer l’orientation des instruments, mais ils tombaient
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