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Le piège de Dante

Le piège de Dante

Titel: Le piège de Dante Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arnaud Delalande
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indifféremment sur le mur, ou sur un ciel flou et brumeux.
    Pietro se redressa, puis réfléchit une seconde.
    Il se tourna vers Lucrèzia et les agents qui l’accompagnaient.
    — Qu’est-ce que c’est que ça ? demanda la Lonati.
    — Aidez-moi, dit Pietro à l’adresse des hommes de la Quarantia.
    Il ajouta :
    — Nous montons sur la terrasse.
    Giovanni Campioni ne s’était pas trompé. Le bâtiment était l’un des plus hauts de Venise, dont les maisons dépassaient rarement les deux étages. De là, on pouvait embrasser d’un regard le Campanile, la Tour de l’Horloge et la lagune jusqu’à San Giorgio et la Giudecca, ainsi que les différents sextiers de Venise, de Saint-Marc à Canareggio et Santa Croce. Pietro fit disposer les télescopes en divers endroits de la terrasse et ce qu’il découvrit ne tarda pas à confirmer ses craintes. Il pâlit.
    Mon Dieu... J’ai perdu l’habitude de Vous invoquer, mais cette fois...
    — Qu’y a-t-il ? demanda Landretto.
    — C'est bien ce que je redoutais. De quoi est fait un télescope, Landretto ?
    Le jeune valet se gratta le front et fit la moue, laissant glisser une main dans son gilet.
    — Un télescope, eh bien, quelle question...
    Pietro détacha son oeil de la lunette.
    — Je vais te le dire. Un télescope est composé de lentilles de verre. De petits miroirs concaves.
    Il écarta les bras :
    — Venise est couverte par douze mille ducats de lentilles de verre.
    Il ne fallut pas longtemps pour que la théorie de Pietro trouvât sa confirmation. La chose était incroyable. On dénombra près de quinze appartements, loués au cours de la même période et dans des conditions analogues, à des personnages aux signatures fantaisistes, Sémiaza, Samane, Arédros – celles des Forces du Mal – dans les bâtiments les plus élevés de la cité. Chacun disposait d’une terrasse semblable et on y retrouva d’autres télescopes.
    Or, selon l’endroit où l’on se tenait, on plongeait à l’intérieur des maisons des plus grands patriciens de la lagune, dans l’intimité des casini , dans les jardins du Broglio , jusque dans les appartements du Doge ! Minos avait étendu partout un réseau ahurissant, un maillage serré et d’une extrême complexité par lequel certaines lentilles, astucieusement disposées sur un toit ou une cheminée, frappant le fronton d’une villa ou ricochant dans le miroir inattendu d’une vasque abandonnée, servaient de relais à l’observateur pour réfléchir les alcôves les plus inaccessibles; l’intelligence de cette disposition était telle que ce gigantesque panoptique transformait la ville entière en terrain de jeux et de reflets optiques que seuls des calculs dépassant l’imagination, et des connaissances hors du commun, avaient pu mettre au point. Panoptica , songeait Pietro en se souvenant des plans qu’il avait entrevus dans le bureau d’Octavio. Les dessins insensés qui avaient dû servir d’ébauche à cette installation défilaient de nouveau devant ses yeux; feuillets griffonnés de roses des vents, de chiffres et d’équations croisées, de flèches assassines. Un OEil, un OEil absolu épiait Venise ! On réquisitionna les appartements, on interrogea sans relâche leurs propriétaires, les agents de la Quarantia se précipitèrent dans tous les sextiers, toutes les paroisses. Venise bruissait et murmurait, on commençait partout à chuchoter. Les nouvelles les plus sombres, mêlant fantaisies et vérités, circulaient dans les Mercerie , se répandaient comme des traînées de poudre sous les arcades des Procuratie et du Rialto aux abords de la Terre Ferme ; une ombre inconnue, immense, s’était étendue sur la cité des Doges, personne n’était à l’abri, personne n’était plus chez soi.
    Bientôt, c’en serait fini de la quiétude vénitienne.
    Jusqu’au plus profond de leur lit, nobles et petites gens se mettraient alors à trembler.
    — Quelle plus belle surveillance que celle-ci, Landretto ? Une surveillance dont l’objet même est inconscient d’être observé... Assurément, Ottavio n’a pu imaginer cela tout seul.
    Et Landretto se tourna vers son maître :
    — Alors, doutez-vous encore que le Diable en personne soit à Venise ?

CHANT XIV
    Les Coléreux
    La salle du Grand Conseil était la plus vaste du palazzo ducale ; ils étaient près de deux mille à siéger sur les bancs du Maggior Consiglio , couvrant un espace de plus de cinquante mètres de long. Le Doge avait pris

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