Le piège de Dante
plus rien à faire ici et qui, de surcroît, semblait à géométrie variable. Pietro, lui, voulait acculer Ottavio. Oui : malgré les dires de Fregolo, l’Orchidée Noire avait l’impression de se tromper d’ennemi.
— Réfléchissez, dit enfin Campioni, je vous en supplie. Cette broche au San Luca, et maintenant cette lame de je ne sais quel jeu de fanfarons, qui vous mènent jusqu’à moi! Tout cela ne vous paraît-il pas bien opportun ? Je suis innocent ! Me voyez-vous diriger une armée secrète pour prendre le pouvoir ? Vous déraisonnez !
— Nos adversaires nous ont suffisamment prouvé qu’ils étaient retors, Votre Excellence, et qu’ils étaient habitués à toutes les stratégies. Venise a connu pire par le passé. Notre belle cité a toujours excité les convoitises. Qui nous dit que cette culpabilité, trop transparente pour être vraie, selon vous, n’est pas orchestrée par vos soins, pour cette même raison ? Allons, ne misez pas trop sur notre intelligence, nous sommes las de penser. Nous voulons des faits. Vous connaissez notre pouvoir, il est au moins équivalent au vôtre, et le temps nous presse. Nous craignons le pire pour l’Ascension. Vous aimiez Luciana Saliestri, n’est-ce pas ?
— Oh..., dit Campioni, visiblement touché, au point qu’il en mit spontanément une main sur le coeur. Ne mêlez pas la passion la plus pure à ces horribles exactions. Comment pouvez-vous imaginer un instant que j’aie pu lever la main sur cet ange? Sa mort atroce me déchire plus sûrement qu’une meute de chiens !
— La « passion la plus pure », enchaîna Ricardo Michele Pavi, le chef de la Quarantia . Cela est amusant lorsque l’on évoque, paix à son âme, la mémoire d’une courtisane qui avait pour habitude de se donner au tout-venant.
Pietro toussa.
— ... Les crimes passionnels sont vieux comme le monde, continua Pavi. N’étiez-vous pas jaloux de ses autres amants? Vous saviez qu’ils étaient nombreux !
— Oui, cela était un drame, en effet, un drame qui ne regardait que moi. Mais que viennent faire mes sentiments pour elle, à l’heure où il s’agit de traquer les Oiseaux de feu ? Allez donc chercher votre cartomancien et...
— Niez-vous que vous avez fait appel à ses services, par le passé ? coupa Vindicati.
A ces mots, le sénateur baissa les yeux quelques instants.
— Je... Il est vrai que j’ai dû aller le voir, une ou deux fois... Mais cela n’avait rien à voir avec la politique, ce n’était...
Voyant le sénateur s’embourber, Pietro se décida à intervenir.
— Il y en eut d’autres avant vous, dit-il d’un ton qui se voulait plus rassurant. Et non des moindres : je vous parle d’Auguste, et de tous les empereurs romains. Ne vous inquiétez pas pour l’astrologue. S'il a menti, il sera sous les verrous avant ce soir et cette fois, nous ne le lâcherons pas. Ce que nous voulons savoir, c’est ce que vous nous cachez encore au sujet des Oiseaux de feu. Qui est Minos ? Qui est Virgile ? Qui se fait appeler il Diavolo ?
Campioni se tourna vers Viravolta.
— Oui. Je vais vous dire ce que je sais. Mais comprenez-moi. L'un de vous... est peut-être l’un d’eux.
C'en était trop pour Niccolo Canova, un sexagénaire replet, mais tranchant comme une lame de rasoir. Il intervint à son tour, se dressant sur son séant avec emphase, et postillonnant en éventail :
— N’ajoutez pas à votre situation des accusations d’une telle gravité, portée à l’encontre de ceux qui ne cherchent qu’à sauver la République !
Il y eut un long silence, puis Campioni baissa de nouveau les yeux.
— Ils m’ont menacé, mais cela n’est pas le plus grave. (De nouveau, il chercha un soutien auprès de Pietro.) Ils ont menacé des membres de ma famille et d’autres sénateurs du gouvernement. Je ne peux prendre la responsabilité de les mettre en péril. Vous êtes allés à la villa Mora, à Mestre : vous avez vu ce qu’ils étaient, n’est-ce pas? Et c’est moi-même qui vous ai offert de mesurer ce danger. Vous avez peut-être raté là une occasion de les exterminer. A présent, ils n’en sont que plus forts, ce sont eux qui mènent la danse. Mais je sais qu’ils ne s’arrêteront pas.
Nouveau silence.
— Très bien ! Je vais tout vous dire. Croyez bien que je ne vous cacherai rien. Si j’en savais davantage, je n’aurais pas attendu pour faire sortir le loup du bois.
Les Dix, Pietro et le chef de la Quarantia étaient tout
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