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Le piège de Dante

Le piège de Dante

Titel: Le piège de Dante Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arnaud Delalande
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voyez-vous... Luciana a beaucoup d’hommes dans sa vie...
    Le ton sur lequel il avait dit ces mots, qui s’étaient échoués dans un murmure, n’échappa pas à Pietro. Le sénateur était amoureux, la chose était visible ; et l’idée que la courtisane pût accueillir d’autres hommes dans sa couche lui était une véritable souffrance. Il fronçait les sourcils, dans une expression de douleur qu’il avait peine à refréner.
    — Oui, je l’aime, avoua Campioni en serrant le poing, comme si lui-même avait deviné les réflexions de Pietro. Je l’aime depuis près de dix ans déjà. Il y a de quoi rire, ne trouvez-vous pas ? Que quelqu’un tel que moi puisse frémir à la seule idée de tenir dans ses bras une simple courtisane, si jeune, et habituée des arcades des Procuratie ... Je le sais bien. Voilà qui m’éloigne des affaires de la République! Mais justement : cette femme est ma drogue, mon épice, je ne parviens pas à m’en défaire... Il est inutile de vous le cacher : je tremble à la seule idée de la perdre un jour et pourtant, elle est toute ma honte... Elle est de celles qui vous ensorcellent, vous jettent dans les tourments les plus vifs, et vous attachent aussi sûrement que les filets de Diane... Une mante religieuse, oui ! Adorée et dangereuse. Oh, Seigneur... Mais vous devez connaître cela, n’est-ce pas ?
    L'image d’Anna Santamaria, la Veuve Noire, passa devant les yeux de Pietro.
    Il ne répondit pas directement.
    — Rassurez-vous, Votre Excellence, dit-il en continuant de marcher. Un peu de sincérité me rafraîchit, par les temps qui courent.
    Ils se turent encore quelques instants, puis Campioni reprit :
    — Et quant à cette broche, qu’y puis-je si on la lui a volée ? Vous ne pensez tout de même pas que je puisse être mêlé, de près ou de loin, à ces meurtres sordides !
    Pietro sourit.
    — Oh, loin de moi cette idée, Votre Excellence.
    Campioni parut rassuré; son souffle, qui s’était légèrement accéléré, se fit de nouveau plus tranquille. Mais Pietro n’avait fait que différer les questions les plus délicates. Il fouilla prestement dans sa poche et en sortit deux bouts de papier, qu’il tendit au patricien.
    — Ces inscriptions ont été retrouvées, l’une sur le corps de Marcello Torretone, l’autre dans l’église San Giorgio Maggiore. Cela vous dit-il quelque chose ?
    Campioni prit les papiers et lut.
    J’étais nouveau dans cet état
    Quand je vis venir un puissant,
    Que couronnait un signe de victoire.
    La tourmente infernale, qui n’a pas de repos,
    Mène les ombres avec sa rage ;
    Et les tourne et les heurte et les harcèle.
    Vexilla regis prodeunt inferni.
    — Eh bien, dit le sénateur, cherchant visiblement ce que ces mots lui évoquaient. En vérité, il me semble avoir déjà lu cela... Mais où?
    Il se passa la main sur le front et demanda à son tour :
    — Que veulent dire ces épigrammes ? On dirait... une sorte de poème.
    — Hors de leur contexte, qui m’est encore inconnu, répondit Pietro, elles ne semblent pas signifier grand-chose. Pas plus que mises bout à bout, d’ailleurs. Votre Excellence...
    Pietro inspira et se jeta à l’eau.
    — ... Je voudrais que vous me parliez de la Chimère, et de ceux qui se font appeler les Stryges, ou les Oiseaux de feu...
    Les doigts de Campioni tremblèrent sur les papiers. Il regarda autour d’eux. Pietro sut qu’il avait fait mouche. L'intérêt de la conversation s’accentua encore; il était suspendu aux lèvres du patricien. La réaction de ce dernier à l’évocation des Oiseaux de feu était comparable à celle qu’avait eue le prêtre Caffelli, lorsque Viravolta lui avait annoncé la crucifixion de Marcello Torretone. Et les mêmes symptômes de terreur maladive apparaissaient sur son visage : le sang refluait de sa chair; il était gagné de sueurs. Il porta une main à sa poitrine et tendit l’autre à Pietro, comme si les bouts de papier, qu’il tenait encore, étaient imbibés de poison. Les yeux vibrants d’angoisse, il se pencha sur Pietro et dit en chuchotant :
    — Ainsi vous êtes au courant, vous aussi !
    — Que savez-vous ? demanda encore Pietro.
    Campioni hésita, frissonnant. De nouveau, il regarda autour de lui.
    — Je... Je vois des ombres, elles me suivent partout, je le crains. Je me dis parfois qu’il ne s’agit que de l’effet de mon imagination, mais... A la vérité, j’ai peur.
    Pietro insista.
    — Deux crimes épouvantables ont

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