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Le piège de Dante

Le piège de Dante

Titel: Le piège de Dante Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arnaud Delalande
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entier s’était déréglé. Il descendit de son cheval et Landretto l’imita. De l’endroit où ils se trouvaient, ils pouvaient contempler ce toit à moitié détruit, ce parc cerné de massifs sombres où s’entremêlaient les ronces et les chardons. La villa était entourée d’un muret de pierres lézardées, lui aussi à demi effondré. La nuit gagnait et le brouillard, semblable à celui qui avait accompagné les deux hommes lors de leur voyage vers Murano, enveloppait le paysage. Issu de la lagune et porté par le vent, ou montant des entrailles mêmes de la terre, il s’insinuait en lambeaux diaphanes et mouvants entre les vestiges de fontaines abandonnées, les vasques asséchées et les restes de colonnes tordues. Pietro frissonna. Il n’était pas surprenant que les Oiseaux de feu eussent choisi un tel lieu pour leur villégiature clandestine : avec ses parois fissurées, ses jardins à la végétation anarchique et son arche démolie, dont un seul pan tenait encore debout, elle offrait à la vue un spectacle sinistre. Les aboiements réguliers d’une meute de chiens, dans le lointain, accentuaient l’atmosphère lugubre. Les ifs et les cyprès dressés de part et d’autre encadraient ce périmètre chagrin comme autant de stèles funéraires; un cimetière s’étendait d’ailleurs à quelques dizaines de mètres de la villa, et une forêt de croix se découpaient contre le ciel, mouchetées de myriades d’aiguilles blanches, mains déchiquetées implorant la clémence de cette nuit où elles ne tarderaient pas à sombrer.
    — Nous étions mieux chez la Contarini, marmonna Landretto.
    Viravolta donna un coup de talon sur l’herbe grasse pour se défaire d’une motte de terre. Il vérifia l’un et l’autre des pistolets à poudre qu’il portait sur ses flancs, auprès de son épée, avant de rabattre dessus sa cape noire. Ils étaient à l’abri derrière un arbre dont le feuillage languissant chuintait dans l’obscurité. Les yeux rivés sur la villa, Pietro fronça les sourcils.
    — Nous n’y verrons bientôt plus grand-chose, si la lune ne vient à notre secours. Quand il fera nuit noire, il faudra que je m’approche un peu. Tu emmèneras les chevaux plus loin, mais pas trop loin tout de même, Landretto. Si nous sommes contraints à un départ précipité, j’aimerais bien te retrouver facilement. Tu vois cette colline, là-bas ? Ce sera notre point de rendez-vous. Tu sais quoi faire, si l’aurore vient sans que j’aie reparu.
    — C'est entendu.
    Ils attendirent encore. Le monde entier semblait peuplé de fantômes. On imaginait sans mal des nuées de spectres plaintifs, sortant de leurs tombes pour errer alentour, le bruit de leurs chaînes se confondant avec le sifflement du vent. Le croissant d’une lune pâle apparaissait de temps à autre, très vite avalé par les nuages. Vers dix heures, Pietro et Landretto se séparèrent. Le valet alla se poster sur la colline. Pietro s’avança discrètement tout près du muret qui entourait la villa et resta ainsi aux aguets. Ses yeux seuls semblaient briller dans la nuit. Sur le qui-vive, il ne relâcha pas son attention. Les derniers événements ne cessaient d’assaillir ses pensées. Il songeait à Dante, aux gravures qu’il avait vues, à ces damnés plongés dans les tourbes infernales, aux hurlements des suppliciés, à Marcello Torretone et au prêtre Caffelli, unis par le secret... Puis, c’était le visage de la courtisane, Luciana Saliestri, et celui du sénateur, affolé à l’évocation de la Chimère... L'apparition d’Anna Santamaria enfin, Anna telle qu’il l’avait vue dans les Mercerie , venait lui mordre le coeur, ainsi que cette sorte de désarroi qu’il avait éprouvé alors, cette incertitude quant à la conduite à tenir... Il méditait ainsi, agenouillé sous les ifs.
    Deux heures plus tard, alors qu’il était encore plongé dans ses réflexions, le vent continuait de bruire à ses oreilles, mais rien ne bougeait. Il faisait de plus en plus froid. Les chiens s’étaient calmés, les oiseaux endormis. Pris d’un instant de fatigue, Pietro s’étira et s’assit derrière le muret. Il commençait à croire qu’il avait été victime d’une mauvaise plaisanterie. Lui faudrait-il attendre ainsi jusqu’à l’aube? Au moment même où il se prenait à considérer sérieusement cette éventualité, non sans une certaine amertume, il entendit quelque chose. Il se mit sur les genoux, se redressa

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