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Le piège de Dante

Le piège de Dante

Titel: Le piège de Dante Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arnaud Delalande
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aurait pu elle-même exterminer ses assaillants.
    L'Ombre invita l’assemblée à se redresser. Un officiant lui apporta un poulet, jailli de nulle part. La lame d’un poignard étincela. L'Ombre trancha la gorge de l’animal d’un coup sec, au-dessus du pentagramme dessiné à la craie. Le volatile, glotte déchirée, poussa un caquètement étranglé. Le sang se répandit à longs jets sur le pentagramme, puis sur l’autel. Il Diavolo en remplit un plein calice, qu’il porta à ses lèvres. Cette mascarade ésotérique avait un goût funèbre. Un carnaval, avait dit le sénateur Campioni dans son billet. Mortifère, assurément. Etait-il possible que, sous ces capuches enténébrées, se cachent quelques-uns des plus hauts dignitaires de Venise ? Etait-ce là un jeu tragique auquel se livraient des nobles décadents de la lagune, prêts à tous les maléfices, à toutes les plus viles conspirations, pour tromper leur ennui? Non, ce ne pouvait être sérieux; Pietro avait peine à le croire, mais il ne pouvait oublier la terreur du prêtre Caffelli, ni celle du sénateur lui-même.
    Tout à coup, la voix – sa voix, profonde, caverneuse – rompit le silence.
    Le maître de cérémonie s’était approché du livre posé sur le pupitre.
    Je suis au Troisième Cercle, à celui de la pluie
    Eternelle, maudite, froide et lourde;
    Règle et nature n’en sont jamais nouvelles.
    Grosse grêle, eau sombre et neige
    S'y déversent par l’air ténébreux;
    La terre qui les recueille a une odeur infecte.
    Cerbère, bête étrange et cruelle,
    Hurle avec trois gueules comme un chien
    Sur les morts qui sont là submergés.
    Ses yeux sont rouges, sa barbe grasse et noire,
    Son ventre large, ses mains onglées;
    Il griffe les esprits, les écorche et les dépèce.
    La pluie les fait hurler avec les chiens...
    Il Diavolo continuait ainsi sa lecture. Au bout d’un moment, il s’arrêta, revint vers l’autel et, levant les mains :
    — Comme autrefois le poète prédit les discordes sur Florence, je vous dis, moi, qu’elles arrivent sur Venise, et que vous en serez les plus ardents promoteurs. Je vous dis que le duc Francesco Loredan mérite la mort, que lui aussi sera dévoré. Je vous exhorte à ne pas oublier ce que la République fut autrefois, pour mieux comprendre ce qu’elle est aujourd’hui : le repaire du péché et de la corruption. Bientôt, nous la mettrons à bas, et l’Age d’or nous reviendra. Nous retrouverons la maîtrise des mers. Notre pouvoir aussi sera nouveau, âpre au monde, prompt à imposer sa suprématie, comme l’Empire le fit jadis dans toutes ses colonies, dans ses comptoirs et ses bases impériales, jusqu’à l’autre bout des terres connues... Nous inonderons la lagune de ces nouvelles richesses, qu’elle mérite; nous sauverons nos miséreux et renforcerons nos armées. Notre pouvoir sera fort des siècles anciens, et de l’ardeur de notre combat. Et vous, mes Stryges ! Vous mes Oiseaux, serez harpies et furies, jetées en tous points de la ville, jusqu’à ce que, sur les vestiges de l’ancien monde, s’échafaude enfin le régime nouveau, celui que nous appelons de nos voeux.
    — Ave Satani, clama l’assemblée d’une seule voix.
    Pietro faillit laisser échapper un rire. Celui-ci se mua en une toux brève et hachée. L'un des membres de la secte tourna le visage vers lui. L'Ombre nota-t-elle aussi ce mouvement ? Pénétrée d’une intuition subtile, elle sembla regarder un bref instant dans sa direction. Pietro se raidit ; mais il ne pouvait que deviner un trou noir, un néant sous la capuche de l’ennemi. Et bientôt commença une étrange procession. L'un après l’autre, les lucifériens allaient s’agenouiller devant l’autel, au centre même du pentagramme, pour prêter serment.
    Pietro hocha la tête.
    — Je te nomme Sémiaza, des Séraphins de l’Abîme, disait l’Ombre en dessinant une croix renversée avec de la cendre, sur le front de son disciple, sans lui ôter sa capuche. Je te nomme Chochariel, des Chérubins de l’Abîme et de l’ordre de Python-Luzbel. Toi, tu seras Anatnah, des Trônes, avec Bélial pour chef.
    Pietro ne put faire autrement que de suivre le flot. Devant lui, on continuait de s’agenouiller. Il se passa la langue sur les lèvres. Parviendrait-il à voir les traits de l’homme qui se dissimulait sous cette capuche obscure ? C'était là l’occasion ; mais si tel était le cas, lui-même risquait d’être découvert. Il ferma

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