Le piège de Dante
catacombes. Çà et là, des toiles d’araignée décoraient ce repaire humide. Six piliers soutenaient les voûtes. Une grille de fer rouillée était fermée sur un autre escalier, aujourd’hui muré, et qui devait par le passé communiquer avec un autre endroit du jardin, voire avec ce cimetière que Pietro avait aperçu derrière la villa Mora. Les autres personnes qui avaient précédé Pietro et son comparse se trouvaient là; toutes se saluèrent d’un hochement de tête silencieux avant de prendre place auprès des bancs de bois que l’on avait alignés de part et d’autre du lieu, à la manière des travées d’une église. Pietro s’arrangea pour rester à l’extrémité de l’un de ces bancs et, les mains jointes, attendit. Au fond, un autel était dressé, ainsi qu’un pupitre sur lequel reposait un livre. Des tentures pourpres tombaient du mur. Sur le sol, un vaste pentagramme, semé de signes incompréhensibles, était dessiné à la craie... Mais ce furent surtout les tableaux, accrochés sur les parois de droite et de gauche, qui attirèrent l’attention de Pietro. L'Inscription sur la Porte , qui montrait deux personnages au seuil des mondes souterrains, lui rappela aussitôt cette autre Porte de l’Enfer qu’il avait vue dans l’ouvrage de la collection Vicario. Le pape simoniaque était jeté dans un chaudron en flammes, au milieu d’une cascade de roches noires et tranchantes; Pietro vit que le peintre avait donné à ce pontife les traits de Francesco Loredan. Le Doge, voué à toutes les gémonies! L'allusion était d’un goût douteux... Plus loin, Caronte menait les âmes damnées sur sa barque dans un univers de tempête. Les Stryges et les Hordes de démons – image même des Oiseaux de feu – venaient entourer Virgile au sommet d’un précipice, faisant battre leurs ailes de chauves-souris.
Neuf tableaux en tout.
Oui, c’est bien ici un enfer, se dit Pietro.
Peu à peu, la salle se remplissait de nouvelles ombres. Elles furent bientôt une cinquantaine. Elles arrivaient maintenant par trois ou quatre et à des intervalles plus rapprochés. Ce ne furent plus que murmures et froissements de tissus. Chaque groupe se débarrassait de ses torches qui venaient jeter sur la salle d’autres lumières. Pietro, nerveux, ne bougeait plus. Il n’osait imaginer ce qui se passerait s’il était découvert. La tension et les mouvements ralentirent peu à peu, puis les Oiseaux de feu, enfin immobilisés dans des positions hiératiques, cessèrent toute activité. Le silence dura longtemps, tous les visages tournés vers l’autel encore vide, sous leur capuche. Que faisaient-ils? se demandait Pietro. Priaient-ils? Attendaient-ils quelqu’un d’autre ?
Il eut la réponse assez vite.
Car l’Ombre souveraine était là.
Elle arriva, seule, vêtue de la même façon que les autres, à ceci près qu’un médaillon d’or pendait de son cou, sur lequel Pietro eut le temps de distinguer un pentagramme de perles, et une croix renversée. Il Diavolo , le Diable, la Chimère passa entre les travées. Alors, comme une vague qui refluait, depuis les dernières jusqu’aux premières travées, les lucifériens s’agenouillèrent. Pietro les imita avec un léger temps de retard. Arrivé parmi les premiers, il n’était pas très loin de l’autel où son ennemi prenait place. S'il devait s’élancer vers l’escalier qui l’avait mené jusqu’ici, il aurait plus de la moitié de la salle à parcourir. Cette réflexion ne le rassura guère; mais il n’aurait pu se poster autrement sans paraître suspect. Il attendit encore, guetta le souffle qu’exhalaient ces poitrines respirant à l’unisson autour de leur Maître. Il y avait là quelque chose de cauchemardesque, même si Pietro, en d’autres circonstances, eût considéré cette mise en scène avec l’ironie la plus mordante. Il n’était pas âme impressionnable, mais il n’avait pu empêcher un frisson de parcourir son corps lorsque le mystérieux personnage était passé près de lui. L'étau se refermait. Il n’avait plus d’autre choix que de se faire tout petit en participant à cette cérémonie insolite. L'image d’Emilio passa devant ses yeux; il se dit qu’il avait été bien sot de ne pas accepter le renfort des milices secrètes du Conseil pour une arrivée impromptue qui eût mis la main sur ces fous, d’un seul coup. Mais en vérité, c’était bien une petite armée qu’il avait en face de lui. Elle
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