Le Pont de Buena Vista
intelligemment conçu pour de petits séjours, et assez élégant d'allure pour une case de Blanc. Mais ne renoncez pas au confort de votre bungalow du Cornfieldshire, et surtout pas à vos visites au manoir ! dit le lord.
Comme Charles le raccompagnait à sa voiture, Simon Leonard lui prit le bras.
– Je suis étonné de ce que vous avez obtenu de Malcolm. D'ailleurs, depuis qu'il travaille pour vous, il est beaucoup plus enjoué et passe des heures dans la bibliothèque à examiner de vieux dessins ou aquarelles de mon grand-père Maxence. Cet homme avait un vrai talent de peintre et se plut, tout au long de sa vie, à dessiner et peindre les cases des Arawak. Il se rendait aussi sur l'île Andros pour croquer les maisons de plantation construites à la fin du siècle dernier par les loyalistes. Aujourd'hui, elles ont presque toutes disparu. Abandonnées par les planteurs, dont beaucoup firent faillite, ces demeures coloniales périrent souvent par l'incendie, quand elles ne furent pas dévastées par les ouragans ou démontées, planche après planche et brique à brique, par les Indiens et les nègres qui trouvaient là de quoi bâtir leur case. Je crois que ces résidences, dont ne restent que les aquarelles de mon grand-père, illustrent un moment de l'histoire de l'archipel. Malcolm m'a dit qu'il pourrait s'inspirer des dessins de Maxence s'il devait un jour construire d'autres maisons plus importantes que votre cabane. « Peut-être même une pour moi, si je dois rester longtemps à Soledad », m'a-t-il dit, ce qui semble bien augurer de son avenir.
– Il suffisait d'amorcer son désir de bâtir, et de stimuler sa volonté. Mais il faudra lui fournir d'autres occasions de prouver ses compétences. N'avez-vous aucune construction en vue, monsieur ?
– C'est étonnant comme nos pensées peuvent se rejoindre, mon ami. J'ai pensé demander à Malcolm les plans d'un nouveau lazaret. Notre petit hôpital, construit en planche il y a un demi-siècle, n'est qu'une infirmerie rudimentaire pour marins. Les colons préfèrent se faire soigner au dispensaire du pasteur Russell, où sont aussi reçus les indigènes. Je pense que nous devrions avoir mieux à offrir aux malades et aux blessés. Mais croyez-vous sincèrement Murray capable de conduire une entreprise aussi importante et pour moi si coûteuse ? demanda Cornfield.
Le ton de la question révélait la subsistance du doute.
– Je suis certain qu'il mettrait un point d'honneur à réussir une construction qui devrait parfaire l'organisation coloniale que votre famille a instaurée, assura Charles pour encourager lord Simon à concrétiser son projet.
– Bien. Ne parlez pas de cette idée à l'intéressé. Je le ferai moi-même, car je tiens à voir sa première réaction, dit le lord en remontant dans sa calèche.
Au lendemain de cette visite du maître de l'île, Desteyrac vit arriver une charrette chargée de trois fauteuils en rotin fatigués, d'une table de bois dont la patine ne dissimulait pas taches et éraflures, et de quatre chaises empaillées qui avaient dû figurer autrefois dans le mobilier d'un fermier.
– Lord Simon vous envoie ça, qu'on a sorti des communs, sir, expliqua le cocher mulâtre.
Charles remercia avec un sourire amusé. En offrant ce mobilier réformé d'une attendrissante rusticité, Cornfield faisait certes preuve d'attention courtoise, mais il signifiait aussi à l'ingénieur que sa « cabane » ne pouvait être qu'un abri de chantier.
Quand Desteyrac eut transporté sa planche à dessin, son matériel et les ouvrages techniques dont il avait besoin pour préparer la construction du pont, il décida de s'installer pour quelques jours dans son cottage, que Mark Tilloy avait tout de suite nommé, par dérision, Little Manor. Timbo, peu satisfait d'un exil, même épisodique, au sud de Soledad, ce qui l'éloignait de sa petite amie, femme de chambre à Cornfield Manor, manifesta, dès l'arrivée, sa mauvaise humeur en se déclarant incapable de cuisiner sur des briques « comme les nègres », avec obligation de parcourir plus d'un demi-mile pour aller chercher l'eau à l'unique fontaine du village de Southern Creek.
– C'est meilleu', mossu, de 'ester chez vous p'ès si' Ca've' et de fai'e le voyage tous les jou's pour le t'avail. Ici c'est pas bon. Y a plein de bêtes de sable et faud'a aller où che'cher le pain et la viande ? Mossu pou''a manger que
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