Le Pont de Buena Vista
le site. C'est ainsi que l'honorable Malcolm Murray révéla des qualités que beaucoup lui déniaient et que Charles lui avait généreusement attribuées. Ils parcoururent le bord du gouffre de l'enfer, comme le nommait le superstitieux Timbo ; ils élurent un emplacement sur un terre-plein qui dominait le village des pêcheurs de Southern Creek et offrait une belle vue sur Pink Bay, la bien-nommée en raison de la couleur rose de son sable.
Très habilement, Malcolm, muni d'un carnet de croquis, commençait à crayonner le panorama quand des indigènes, qui suivaient du regard les allées et venues des deux amis, approchèrent. L'un d'eux, nommé Sima, fameux pêcheur d'éponges que Charles avait plusieurs fois employé pour tenir à la verticale la grande mire graduée de son théodolite, intervint avec la spontanéité des gens simples et serviables. Il avait entendu les Blancs parler de construire une maison sur ce tertre élevé, et son avertissement fut catégorique.
– Excusez, sir. Faut savoir que c'est là que le vent des tempêtes souffle le plus fort. Chaque année, il couche des palmiers. Si on fait une maison ici, elle partira dans la mer avec tout ce qu'il y aura dedans. Faut mettre la maison au bas de la falaise, comme la mienne, à Southern Creek, et encore, pas trop près de l'eau, parce que les grandes vagues d'ouest l'emporteraient aussi bien, prévint-il.
Charles remercia et reconnut qu'il aurait dû penser plus tôt à la violence des ouragans et des orages tropicaux, dont, par temps calme, on avait tendance, sur cette île idyllique, à oublier l'existence. Or, la saison des ouragans, d'août à novembre, s'annonçait déjà par de fortes pluies, fréquentes en fin d'après-midi, alors que la température dépassait 31 degrés.
– Il faut écouter le conseil de mon ami Sima, dit Charles à Murray.
N'étant pas, comme l'ingénieur, habitué à la fréquentation et à la familiarité des Arawak, l'Anglais eût volontiers invité l'Indien à ne pas se mêler des affaires des Blancs.
Une nouvelle exploration en compagnie de Sima permit de repérer un lieu abrité des vents, au fond de Pink Bay. Après un relevé sommaire du terrain, Murray promit d'y construire un cottage qui ferait honneur à l'architecture bahamienne. Ne disposant d'aucun instrument pour dessiner et établir des plans précis, il fut pourvu par Charles d'une planche à dessin, d'un té et du matériel nécessaire. Il s'enferma aussitôt à Cornfield Manor, au grand étonnement de son oncle, qui n'imaginait pas ce dilettante capable d'autant d'assiduité au travail. En une semaine, l'architecte produisit les plans et épures d'une maisonnette sans étage, faite de planches de pin bahamien qu'on poserait, à la mode insulaire, sur une série de blocs de calcaire corallien. Par respect pour la technique vernaculaire, il proscrivit les clous. Il exigea que tout assemblage fût chevillé et que la toiture fût de bardeaux de gaïac, le bois le plus lourd et le plus dur. La pièce principale, à la fois bureau, salon et salle à manger, ouvrirait sur l'étroite galerie, face à la mer. Une chambre, avec cabinet de toilette, donnerait sur la colline. Un appentis, pourvu d'une cheminée de brique à l'arrière de la maison, abriterait la cuisine où dormirait le domestique. Tel se présenterait l'abri, que Charles eût voulu encore plus rudimentaire.
– J'ai tout de même prévu un grand lit pour le cas où vous auriez une visiteuse ! commenta Murray avec un clin d'œil.
Le major Carver approuva le projet de Malcolm et ordonna aussitôt la mise en chantier de la maison, l'architecte devenant maître d'œuvre. En quelques jours, Tilloy mobilisa les charpentiers de marine qui, sous la direction de Tom O'Graney, abattirent pins et gaïacs qu'ils débitèrent en poutres, planches et linteaux, tandis que de jeunes Indiens, recrutés par Sima, aplanissaient le sol, exécutaient les terrassements, taillaient les pierres, traçaient un chemin au flanc de la colline jusqu'à l'endroit où le futur pont prendrait appui.
Un des premiers jours d'août, les charpentiers étaient occupés à poser la couverture de bardeaux quand lord Simon se présenta sans s'être fait annoncer.
– Voici la première maison construite par Malcolm, dit Charles, guidant Simon Leonard.
Lord Simon félicita son neveu, alors absorbé par la mise en place des colonnettes de l'auvent.
– C'est
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