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Le Pont de Buena Vista

Le Pont de Buena Vista

Titel: Le Pont de Buena Vista Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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je serai votre homme, dit Charles qui n'avait aucun projet pour la soirée.
     
    Le Loyalists Club, installé dans une construction ronde avec galerie, proche du port oriental, offrait, avec ses fauteuils de cuir, ses tables à jeu, ses salles de billard et de lecture, son long bar d'acajou à main courante de cuivre, et son petit restaurant, tout le confort d'un club londonien. Il avait été fondé par le père de Simon Leonard afin que les Anglais insulaires ou de passage y trouvent à lire les journaux, puissent bavarder à l'aise, jouer aux cartes ou aux dés en buvant les alcools importés d'Angleterre. On était toujours sûr d'y rencontrer, à l'heure du lunch et à la fin du jour, une compagnie masculine, chaleureuse et gaie. Malcolm Murray avait été admis dès son arrivée. Mais le conseil du club se réunirait prochainement afin de décider de l'admission d'un ingénieur étranger, proposée par le président, le major Carver, et le secrétaire, le lieutenant Tilloy. Charles Desteyrac serait le premier Français à recevoir sa carte. Cette adoption marquerait un nouveau pas dans son intégration à la société locale. Il tenait donc à répondre à l'invitation du lieutenant.
     
    Tandis que Tilloy sirotait un pink gin sur la galerie, Desteyrac ouvrit d'abord la lettre de sa mère. Elle était en bonne santé, se réjouissait que son fils se plût à Soledad, île qu'elle avait « eu beaucoup de mal à situer sur une carte des Antilles ». « Ce morceau de corail, gros comme un vermicelle », lui paraissait affreusement petit sur l'immensité de l'océan. Elle révélait que le général Léonce de Saint-Forin avait été élevé par l'empereur au grade de grand officier de la Légion d'honneur et qu'elle avait assisté avec son mari, aux Tuileries et à Notre-Dame, au mariage de Napoléon III avec la belle Eugénie de Montijo. Elle concluait en faisant état d'un risque de guerre entre la France, alliée de l'Angleterre, et la Russie. « Le désir du tsar Nicolas est de s'installer à Constantinople, ce que ne peuvent accepter les Anglais et les Français, soucieux de maintenir la libre circulation dans les Détroits », écrivait Mme de Saint-Forin, traduisant ainsi la pensée de son époux.
     
    « Et dire que Louis Napoléon avait proclamé à Dijon, en 51, “l'empire, c'est la paix !” » commenta mentalement Charles.
     
    Deux de ses correspondants, négligeant toute considération politique, semblaient s'accommoder de l'administration impériale qui les avait accueillis dès la sortie de l'École. Le travail administratif n'avait rien d'exténuant, et ils continuaient à mener la joyeuse vie de célibataire que Charles Desteyrac avait un temps partagée.
     
    Jean-Paul Loriot, un rapin fresquiste, paraissait fier d'annoncer qu'il travaillait à la réfection des plafonds de la salle Apollon au musée du Louvre, sous la férule de Delacroix. Moins discret que les autres, il révélait comment Rosalie, la bonne amie attitrée de Charles, « avait été mise dans ses meubles par un monsieur du Jockey Club ». « Elle ne fréquente plus la bohème du boulevard, dispose d'une loge au théâtre des Variétés et ne reconnaît plus ses anciens compagnons de fête. Je crois que, sans toi, elle se fût casée depuis longtemps. Mais, fille honnête, espérant sans doute secrètement plus que tu ne voulais lui donner, c'est-à-dire, sinon le mariage, du moins un établissement, elle attendait l'inéluctable séparation pour passer du statut de grisette pour étudiant désargenté à celui de femme richement entretenue. Je la crois à l'aise dans ce nouveau rôle, et je gage qu'elle saura se faire épouser par son vieux rentier ! Comme ce type, ami du duc de Morny, demi-frère de l'empereur, monte tous les jours au Bois des demi-sang fougueux, il finira bien par faire une culbute fatale, et Rosalie nous reviendra en veuve riche et désirable », pronostiquait le peintre avec un cynisme morbide.
     
    Le professeur d'hydrologie de l'École des ponts et chaussées qui avait envoyé Charles à Carver, guidant ainsi le destin de l'ingénieur, faisait, lui aussi, état d'un conflit possible entre la France et la Russie. La nouvelle promotion des Ponts comptait, d'après ce maître, « plus de républicains pacifistes que de bonapartistes belliqueux ».
     
    Un autre correspondant annonçait son mariage « avec la fille d'un banquier » et se disait peu pressé d'exploiter son diplôme

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