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Le Pont de Buena Vista

Le Pont de Buena Vista

Titel: Le Pont de Buena Vista Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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d'ingénieur.
     
    Quant à Albert Fouquet, le plus intime ami de Charles, et major de sa promotion, il avait refusé un poste au ministère des Travaux publics. Engagé par un entrepreneur qui travaillait pour le compte de M. Haussmann, le nouveau préfet de la Seine à qui l'on prêtait de vastes projets, il assistait l'ingénieur en chef Eugène Belgrand, chargé de la construction du nouvel aqueduc de la Vanne et du réservoir de Montsouris. « Ces ouvrages feront passer de quatre-vingt mille à quatre cent mille mètres cubes la quantité d'eau mise à la disposition des Parisiens », assurait-il.
     
    Charles avait réservé pour la fin du dépouillement la lettre de Rosalie : il avait tout de suite reconnu l'écriture appliquée. Malgré le temps et le voyage par mer, l'ouverture de l'enveloppe libéra une fragrance qu'il connaissait et qui le troubla : celle de Bouquet des Hespérides, de Guerlain, parfum qu'il avait souvent offert à son amie. Réaliste et pratique, Rosalie confirmait avec simplicité et franchise l'indiscrète révélation du peintre et avouait que, n'ayant plus d'espoir de revoir jamais Charles, elle venait d'abandonner le commerce des chapeaux « pour tenir compagnie » – Desteyrac apprécia l'euphémisme – « à un veuf très attentionné et sans enfants qui désire m'épouser ». Puis elle ajoutait : « Tu m'as dit en me quittant que tu ne souhaitais que mon bonheur. À défaut d'une vie gaie, pareille à celle d'autrefois, j'ai au moins la considération et la sécurité. Mais jamais je n'oublierai nos soupers boulevard des Italiens et mon arrière-boutique où nous nous aimions au milieu des rubans, des pailles et des plumes d'autruche qui te chatouillaient le nez. Adieu, Charles, et merci pour ces moments. Tu me laisses un souvenir éblouissant. Je t'embrasse comme tu aimais, une dernière fois. Rosalie. »
     
    Desteyrac relut la courte lettre de celle qui avait été une maîtresse ardente et docile. Il s'en voulut d'avoir frissonné en respirant le parfum familier de cette femme dont il imagina sans plaisir le corps blanc et potelé livré aux caresses d'un vieillard libidineux. Plus sensible qu'il n'eût voulu à la bouffée de souvenirs libérée par la lettre parfumée, il éprouvait à la fois l'irritante déception de voir Rosalie si vite consolée, et le lâche soulagement de savoir son amie sous la protection d'un homme riche et influent. Peut-être, mâle égoïste et dominateur, eût-il voulu qu'elle souffrît un peu plus de leur séparation et qu'elle observât un délai convenable – le temps d'un veuvage mondain, par exemple – avant de se donner à un autre homme. Il finit par trouver ces considérations indignes de lui. « Que Rosalie soit heureuse, mariée ou non », se dit-il. Avec la présomption de l'amant irremplaçable, il ne retint finalement que l'aveu flatteur de la femme un moment comblée : il laissait un souvenir éblouissant !
     
    Sa lecture terminée, Charles Destyrac serra les lettres dans un tiroir. S'il était resté en France, sans doute aurait-il refusé, comme son ami Fouquet, d'entrer dans l'administration impériale, mais, comme lui, il eût été obligé d'accepter un poste dans une entreprise de travaux publics dont la prospérité ne pouvait dépendre que des chantiers concédés par l'État. Il ne regrettait donc pas le choix qu'il avait fait de servir un autocrate bahamien plutôt qu'un autocrate français.
     
    La soirée au club fut, comme prévu, marquée par l'accueil enthousiaste du Français en attendant son intronisation officielle. Charles informa le lieutenant Tilloy de son intention de demander à Malcolm Murray de lui construire un abri près du chantier du futur pont de Buena Vista.
     
    – Je veux surtout l'occuper, le forcer à travailler, expliqua Desteyrac.
     
    – Malcolm travailler ! « Un sac vide tient difficilement debout », commenta Mark, citant Benjamin Franklin en riant. Mais faites-lui votre proposition avant qu'il ne soit trop éméché ! ajouta l'officier en désignant le jeune Anglais occupé à montrer un tour de cartes au capitaine Rodney.
     
    Charles attendit que les cartes fussent rangées pour aborder Murray et lui faire part de son désir d'habiter une petite maison au sud de l'île. Démentant les craintes de lord Simon et le scepticisme de Tilloy, l'architecte fut séduit par l'idée.
     
    Les amis décidèrent que, dès le lendemain matin, tous deux se rendraient sur

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